Reportage international

Dans les Territoires palestiniens, la cuisine aussi devient politique

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Comme pour tous les autres aspects de la vie quotidienne des Palestiniens, la cuisine locale, et plus précisément cette récolte d’herbes comestibles, est intrinsèquement liée à l’occupation. Cueillette interdite, recettes oubliées, colonies à proximité... les obstacles sont nombreux.

Un mélange d'épices et de zaatar, une variété d’origan au cœur de la cuisine palestinienne.
Un mélange d'épices et de zaatar, une variété d’origan au cœur de la cuisine palestinienne. © CC0 Pixabay/Ajale
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De notre correspondante à Ramallah,

Imad, jeune trentenaire palestinien, qui vit à Ramallah, connaît tous les noms des plantes en latin et leur propriété médicinale. Il ne passe pas un jour de son temps libre sans explorer la nature.

« Chaque endroit que je visite, où je me rends, je vais toujours dans le village alentour pour demander aux habitants “ quel est le nom de la plante ?”, “comment l’utilisez-vous ?”. Parfois, je suis chanceux : un vieil homme vient avec moi dans les montagnes, je suis hyper heureux », s’exclame-t-il.

Une cueillette auparavant interdite

Sa plante préférée ? Le zaatar, une variété d’origan au cœur de la cuisine palestinienne et qu’il cueille désormais en toute légalité. Cela n’a pas toujours été le cas. En 1977, Israël décide d’en interdire la cueillette au motif qu’il s’agit « d’espèce protégée ». 

Mais ce n’est pas suffisant pour arrêter Imad. « En général les plantes viennent des montagnes, assez éloignées. Donc, il n’y a pas vraiment de risque de croiser la police. Je n’ai jamais croisé de policier, peut-être une fois ou deux tout au plus. En revanche, les colons me demandent de partir, ça, c’est tout le temps », dit-il.  

Mais pour les moins chanceux qui se faisaient prendre, les amendes oscillaient entre 3 000 et 5000 shekels (soit 900 et 1 300 euros). Une somme pour ces cueilleurs, loin d’avoir le profil de criminels. En 2009, l’avocat Rabea Eghbariah s’empare du dossier, parle d’une interdiction « culturellement problématique » pour les Palestiniens.

« La Palestine est une nation agricole à l’origine »

Depuis, cueillir du zaatar est à nouveau autorisé, seulement en toutes petites quantités. Mais c’est essentiel, estime Mirna Bamieh, artiste et chef palestinienne. « C’est vraiment frustrant, car ils interdisent la cueillette en assumant que les Palestiniens ne savent pas bien les récolter. Et c’est toujours ce qu’essaient de faire les colonisateurs sur les populations colonisées : les faire se sentir plus faibles… », déplore Mirna Bamieh.

Pour redonner à la cuisine palestinienne d’antan une place centrale, Mirna a lancé « Palestine Hosting Society » en 2017. Un projet qui met l’accent sur les recettes oubliées, pour sauvegarder et documenter l’héritage culinaire palestinien.

La Palestine est une nation agricole à l’origine. Mais à cause de l’occupation, on a perdu l’accès à des terres agricoles et la souveraineté sur la nourriture a disparu. C’est quelque chose que j’ai réalisé : la carte palestinienne a été modifiée à de très nombreuses reprises, et on a maintenant des îlots palestiniens ségrégués : les hommes ne pouvant plus bouger, les recettes ne peuvent pas non plus voyager avec eux. Alors la cuisine Palestine a été mise à plat… alors qu’en fait elle a telleeeeement de richesse qui a été oubliée ! Et donc à travers ce projet, j’ai essayé de retrouver toute cette profondeur, réactivé cette cuisine qui, malheureusement, a été trop longtemps oppressée et oubliée.

Depuis, elle organise des dîners thématiques, poste des recettes « oubliées » sur sa page Instagram. « Car c’est à notre génération de se battre », conclut-elle.

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