Reportage international

En Malaisie la diaspora yéménite raconte la guerre mécomprise qu’ils ont fui

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Houthistes, séparatistes du sud, coalition, forces gouvernementales, Al Qaïda... Le nombre d’acteurs impliqués dans la guerre au Yémen rend ce conflit fort complexe à comprendre pour les observateurs extérieurs.Pour les Yéménites qui l’on fuit, le caractère méconnu et souvent mal compris de cette guerre est devenu un de ces principaux enjeux, En Malaisie, un des rares pays à accepter les citoyens yéménites sans visa, des membres de la diaspora se confient.

Une vue de Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie. (Image d'illustration)
Une vue de Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie. (Image d'illustration) Getty Images - Photo by Sayid Budhi
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C’est une réalité que beaucoup ignorent en Malaisie. L’islam qu’une majorité de la population pratique a été diffusée dans le pays par des marchands et religieux originaires de la région d’Hadhramaout au Yémen. Souvent considérés comme sayyid, c’est-à-dire descendants du prophète de l’Islam, cette communauté d’immigrés s’est depuis bien implantée dans le pays, et ses descendants occupent souvent des positions prestigieuses, parmi la royauté et les ministres qui se succèdent depuis l’indépendance.  

Ces dernières années, d’autres Yéménites sont venus en Malaisie pour fuir la guerre qui ravage leur pays, sans acquérir le prestige de ceux venus des siècles plus tôt. Les lois malaisiennes empêchent en effet la plupart d’entre eux de travailler ou d’envoyer leurs enfants à l’école. 

Leena al Mujaheed est à la tête de l’organisation des femmes yéménites réfugiées de Malaisie, ce conflit qu’elles ont fuit, reste ici ignorée de tous, raconte-t-elle : « La plupart des gens, même ici en Malaisie, quand on leur dit qu’il y a une guerre au Yémen, ils sont surpris, ils ne le savent pas, et encore moins qu’elles en sont les causes, qui se bat contre qui. »

Pourtant, pour Leena al Mujaheed, le Yémen et son accès au détroit de Bab-el-Mandeb devrait interpeller « C’est un endroit très stratégique, rappelle-t-elle, en toute logique cela devrait être un sujet important pour tous les pays, et puis il y a aussi la crise alimentaire actuelle et les soucis d’accès à l’eau, le Yémen, c’est une des pires crises humanitaires du monde aujourd’hui. » 

Mais si cette guerre est méconnue, elle est aussi mécomprise pour Jumana, qui a fui le Yémen après avoir participé au Mouvement des Printemps arabes et avoir eu ensuite sa maison bombardée. Bien souvent, déplore-t-elle, le conflit est présenté comme de nature religieuse, avec d’un côté la majorité sunnite des Yéménites et de l’autre une minorité zaydite appartenant à une branche très particulière du chiisme. Une division à mille lieues du Yémen qu’elle connaît.  « Mon père est zaydite, mon frère est sunnite, raconte-t-elle. Ils ont toujours prié côte à côte, il n’y a jamais eu de mosquées différentes pour les sunnites et les zaydites, et je n’ai jamais entendu en grandissant “oh ça c’est zaydite, ça, c’est sunnite, il faut faire les choses comme ci ou comme ça”. On vivait tous ensemble, et c’est seulement depuis la guerre qu’on entend cette rhétorique. »

Cet antagonisme entre sunnisme et chiite est notamment devenu un élément récurrent de la rhétorique d’un des principaux acteurs de ce conflit, l’Arabie Saoudite, entré en guerre à la tête d’une coalition se battant contre la milice houthiste, de confession zaydite après sa prise de contrôle de la capitale Sanaa. Ainsi en 2018, le prince héritier Saoudien MBS, qui, avant son accès au trône, était déjà l’homme derrière l’invasion du Yémen en temps que ministre de la Défense assurait « Les Houthis se fichent des intérêts du Yémen, ils n’ont en tête que leur idéologie, une idéologie iranienne ». 

Or si l’Iran chiite comme les Houthis démontrent une hostilité commune envers l’Arabie Saoudite, l’importance des liens qui les unit, la nature et la taille du soutien iranien aux milices houthistes demeurent, elles, très difficiles à estimer. Notamment au regard du blocus que subit le Yémen, soulevait François Frison-Roche au micro de RFI en début d’année après une attaque par drone des Houthis contre un autre allié de la coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis : « Il suffit de voir une carte pour constater que l’Iran ne peut pas approcher ou apporter de l’armement au Yémen puisque le Yémen est sous blocus aérien et maritime. Maintenant il y a peut-être des pièces détachées, les rapports de l’ONU indiquent que clairement qu’il y a du trafic et les trafiquants trouve toujours des moyens de faire parvenir des pièces, mais ce n’est certainement pas l’Iran qui fournit ces drones. » 

Outre l’ampleur du soutien iranien, difficile également de savoir à quel point les agendas houthis et iraniens sont alignés. À ce sujet, le directeur de recherche au CNRS Franck Mermier confiait, lui, à RFI : “Si l’Iran est présenté comme l’allié des Houthis au Yémen, il est difficile de savoir quel pouvoir Téhéran a réellement sur les rebelles”

À Kuala Lumpur, un autre aspect de la narration du conflit tourmente également la diaspora. Le peu de légitimité du président actuel du Yémen Abd Rabbo Mansour Hadi arrivé à la tête du pays pour à la suite d’un scrutin où il était le seul candidat et boycotté dans certaines régions du pays, après le mouvement des Printemps arabes et la chute du pouvoir du président Ali Abdallah Saleh, qui dirigeait le Yémen unifié depuis 35 ans. « Il y a eu un accord politique entre les partis, pour éviter qu’un conflit meurtrier advienne au Yémen, rappelle Jumana qui faisait alors partie de cette jeunesse rêvant à plus de démocratie. Il fallait quelqu’un pour représenter le Yémen pour deux ans. À ce moment-là, il y avait une volonté d’éviter qu’Ali Abdallah Saleh, l’ancien président, réussisse à retourner au pouvoir. Le plan annoncé était donc le suivant, Mansour Hadi va rester deux ans au pouvoir pour une période de transition le temps que la situation se calme et ensuite des élections en bonne et due forme seront organisées. » 

Dix ans plus tard, les élections ne sont jamais advenues, et c’est en assurant vouloir soutenir ce président, censé n’être que temporaire, que l’Arabie Saoudite et ses alliés se sont immiscés en 2015 dans la guerre civile yéménite. 

Ces dernières semaines, Jumana a elle du faire face à une situation inédite depuis le début du conflit : il est devenu de plus en plus difficile de contacter ses proches qui n’ont pas pu quitter son pays après des bombardements de la coalition qui ont coupé toutes les connexions internet du Yémen. 

Pourtant, pour la jeune femme, l’espoir n’est pas mort, il repose seulement sur aucun acteur du conflit, mais plutôt sur le peuple yéménite lui-même. ‘Le Yémen est toujours empreint d’une forte mentalité tribale, qui est très conservatrice et n’est pas sans poser certains problèmes, mais cette mentalité a un code d’honneur et une pratique de la diplomatie très développée pour justement éviter les conflits. Entre Yéménites, on a ce savoir-faire, qui, je pense, pourrait encore aider le pays à sortir de ce conflit, si seulement cette guerre n’avait pas tant d’ingérences étrangères’.

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