À Istanbul, l'apprentissage de l'intégration pour les exilés russes
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Près d’un an après le début de la guerre en Ukraine, des milliers de Russes, souvent des hommes ayant fui la mobilisation partielle en septembre, mais aussi des artistes et des opposants partis pour des raisons politiques, ont choisi la Turquie comme pays d’exil.

De notre correspondante à Istanbul,
C’est dans un appartement cossu de Beyoglu, sur la rive européenne d’Istanbul, que Roman Alashvili, 31 ans, a posé ses valises en mars 2022. Originaire de Perm, près de l’Oural, au centre de la Russie, il a décidé de partir juste après l’annonce de l’invasion russe en Ukraine. Le temps de mettre quelques affaires dans un sac et d’embrasser une dernière fois ses proches. « Je n’aimais déjà pas vivre en Russie, mais là, c’était la goutte de trop. Je n’aime pas notre gouvernement et je ne me sens pas en sécurité dans mon pays », confie-t-il.
À l’époque, parmi les sanctions imposées contre la Russie, de nombreux pays européens ont décidé de fermer leurs frontières aux ressortissants russes. Pour Roman, la Turquie était l’une des seules destinations possibles. Ankara n’applique pas les sanctions occidentales imposées à Moscou, et ne requiert aucun visa lors des trois premiers mois d’installation. « J’aime ce pays, j’aime sa culture. Mais surtout, c’était la manière la plus simple de fuir la Russie, explique Roman. C’était facile, notamment en termes de papiers administratifs. Tu peux rentrer sur le territoire sans rien, puis vivre pendant trois mois sans aucun visa, ni permis de résidence. »
Une intégration facilitée pour les plus aisés
Selon les services turcs d’immigration, plus de 150 000 Russes ont obtenu un permis de résidence en 2022. Une installation facilitée par quelques avantages : un programme permet aux étrangers d’obtenir la nationalité s’ils investissent plus de 400 000 dollars dans le pays. Les Russes en ont profité. Ce sont eux qui ont acheté le plus de biens immobiliers en Turquie l’année dernière. Cette petite communauté de Russes a aidé Georgy Zhuravlev à bien se sentir en Turquie, malgré des difficultés d’intégration. « Nous nous entraidons, ils m’ont permis de m’installer ici, car j’ai reçu beaucoup d'informations grâce à eux en arrivant. »
Aleksandra Chernousov est arrivée avec son mari et sa fille il y a un an. Elle ne se sent pas en sécurité pour autant : « J’étais une activiste politique, et je suis une féministe radicale. Je ne peux pas dire que je le suis toujours, car ici en Turquie cela donnerait une raison au gouvernement de me déporter en Russie. Je continue de militer de manière déterminée en ligne, mais ce n’est pas la même chose. »
Soutien aux Ukrainiens
Originaire de Saint-Pétersbourg, le couple a ouvert une librairie à Moda, un quartier chic sur les rives d’Istanbul. À l’intérieur, elle distribue des stickers en soutien à l’Ukraine et vend des sacs floqués de slogans anti-Poutine. « On donne une partie de nos revenus aux réfugiés ukrainiens avec mon mari ; mais on essaye de le faire discrètement. On ne va pas crier sur tous les toits, "Hey ! Regardez ! On est des super Russes qui vous aident !". Non, on essaye d’être discrets, car on ne veut pas les mettre mal à l’aise », explique Aleksandra.
Depuis décembre, l’immigration turque délivre de moins en moins de permis de résidence. Pour le moment, impossible de savoir si ces refus concernent systématiquement des Russes. Mais beaucoup de personnes interrogées nous ont confié leur peur de devoir un jour quitter la Turquie, alors qu’ils commencent tout juste à s’y sentir chez eux.
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