Reportage international

Japon: pendant les vacances, la faim silencieuse des familles précaires

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Au Japon, le gouvernement vient d'annoncer qu'il allait élaborer, en procédure dite « d'extrême urgence », un grand plan de lutte contre la pauvreté infantile. Car dans la quatrième économie mondiale, qui est aussi un des pays les plus riches d'Asie, beaucoup d'enfants ne mangent plus à leur faim depuis le début des grandes vacances. Les écoles étant fermées, ils ne bénéficient plus du repas de midi qui leur est servi à la cantine tout au long de l'année. L'archipel affiche un taux de pauvreté nettement plus élevé que la moyenne des pays industrialisés. Et cette précarisation s'aggrave en raison de l'inflation : de l'envolée du prix des produits alimentaires, en particulier.

Un garçon verse du curry dans une assiette dans une « cafétéria pour enfants » créée par Misako Omura à Tokyo, le 18 août 2016. Le dîner hebdomadaire d'Omura fait partie du nombre croissant de « kodomo shokudo », ou « cafétérias pour enfants », qui fleurissent à travers le Japon. Les efforts, essentiellement communautaires, visent à résoudre une série de problèmes liés aux enfants, allant de la pauvreté à la garantie que ceux dont les parents travaillent tard aient un bon dîner.
Un garçon verse du curry dans une assiette dans une « cafétéria pour enfants » créée par Misako Omura à Tokyo, le 18 août 2016. Le dîner hebdomadaire d'Omura fait partie du nombre croissant de « kodomo shokudo », ou « cafétérias pour enfants », qui fleurissent à travers le Japon. Les efforts, essentiellement communautaires, visent à résoudre une série de problèmes liés aux enfants, allant de la pauvreté à la garantie que ceux dont les parents travaillent tard aient un bon dîner. AP - Shizuo Kambayashi
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De notre correspondant à Tokyo,

Au Japon, dans plus d'une famille démunie sur trois (34%), on ne fait plus que deux repas par jour depuis le début des vacances scolaires. Le plus souvent, faute de moyens, on fait l'impasse sur le déjeuner. Quitte à dîner dès 17h30, car en fin d'après-midi, les enfants sont affamés.

Ces deux mamans viennent de faire une heure de queue sous un soleil de plomb afin de bénéficier de la distribution gratuite de cinq kilos de riz aux familles défavorisées. « Je culpabilise énormément, se désole l'une d'elles, car, même si mes enfants sont adorables, donc veillent à ne pas se plaindre, je vois bien qu'ils ne mangent pas assez. C'est terrible. Je me sens vraiment une mauvaise mère. Mais je n'ai pas le choix. Je ne vais tout de même pas aller voler dans les magasins... » Quant à l'autre mère de famille, elle se résigne à ne pouvoir faire que de son mieux : « J'essaie de donner assez à manger à mon petit garçon, mais bon, les repas équilibrés, ça, ce n'est plus du tout dans mes moyens. Les fruits et légumes, par exemple, sont devenus hors de prix. »

Les banques alimentaires sans stock

Cet été à Tokyo, on a beaucoup vu, à l'entrée des supermarchés, des bénévoles travaillant pour des banques alimentaires implorer les clients venus faire leurs courses d'acheter puis de leur faire don de pâtes, de riz ou de nouilles.

Car les stocks de ces banques ont fondu comme neige au soleil, comme l'explique ce responsable : « Notre entrepôt se vide à vue d'œil. Si ça continue, on va devoir fermer boutique. C'est dû à deux choses. D'abord, on n'a jamais été autant sollicités : on croule sous les demandes d'aides. Et puis, on reçoit beaucoup moins de dons qu'avant. Les particuliers sont moins généreux depuis l'envolée des prix des produits alimentaires... »

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Ce qui sauve beaucoup de ménages défavorisés, ce sont les « kodomo shokudô », à savoir les réfectoires tenus par des associations et où, deux ou trois fois par semaine, les enfants peuvent se restaurer à prix modique : 3 à 400 yens (2 à 3 euros) le repas complet.

Ces écoliers s'y rendent très régulièrement, comme ce garçonnet : « Papa est au chômage depuis un an donc, à la maison, on se serre la ceinture... ». Une fillette se réjouit d'une donation : « J'ai reçu des bonbons et une glace ! Cela faisait des semaines que je n'en avais plus mangé. »

« Cette flambée des prix qui affame »

Cet assistant social est particulièrement inquiet : « Au Japon, 40% des salariés n'ont qu'un emploi précaire et un ménage sur six peine à joindre les deux bouts. Ces gens qui sont sur la corde raide en temps normal sont susceptibles de basculer dans la précarité quand survient un accident. C'est ce qu'on vit pendant la pandémie : des jeunes qui avaient perdu leur emploi et ne pouvaient plus payer leur loyer en ont été réduits à dormir dans des cybercafés. Et c'est ce qu'on voit maintenant avec cette flambée des prix qui affame les plus défavorisés... »

À en croire un récent sondage, 60% des familles japonaises les plus démunies souhaiteraient que les grandes vacances soient réduites au minimum – une ou deux semaines, pas plus. Car ces congés scolaires aussi longs nuisent à la santé nutritionnelle de leurs enfants.

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