Russie: dans la région de Koursk, la guerre prend ses quartiers
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Cela fait maintenant trois semaines que l’Ukraine a lancé un assaut surprise et sans précédent à l’intérieur des frontières internationalement reconnues de la Russie. La région de Koursk vit désormais à l’heure de la guerre sur son sol, entre un choc initial pas encore encaissé surtout par les évacués, et déjà, l’idée qu’il va falloir s’habituer à la présence de soldats ukrainiens et au conflit. Notre correspondante en Russie a pu se rendre dans la capitale de la région à Koursk, mais aussi à Lgov, à une vingtaine de kilomètres des combats et à 50 kilomètres de la frontière avec l’Ukraine. Entre les deux villes, une heure et demi de trajet sur une route marquée par l’emprise du conflit.

De notre envoyée spéciale à Lgov et Koursk,
Entre Koursk et Lgov, l'heure et demie de trajet est marquée par l’emprise du conflit. Cinq barrages filtrants sur moins d’une centaine de kilomètres sont présents. La police militaire qui vérifie les identités et fouille les voitures. Des stations-service encombrées par des camions verts de l’armée et surtout tout le long, des champs de tournesol et soja retournés. Du ruban d’asphalte sans aspérité, on ne voit presque rien à part de la terre et parfois des barbelés. C’est, dit-on à RFI, une tranchée d’arrêt anti-tanks. Aucun avion, pas un bruit dans le ciel clair et ensoleillé et à l’arrivée à Lgov, un maire qui veut faire passer le message suivant : la situation de sa ville est sous contrôle.
« La lumière, l’eau, le gaz sont fournis à la population sans interruption. L’hôpital et les ambulances, le transport de passagers, les magasins, les pharmacies, les stations-service fonctionnent. Environ 70% de la population est encore sur place, soit environ 12 000 personnes. Il n’y a pas d’interdiction d’entrer et de sortir de la ville, précise le maire. Il y a eu des bombardements de la ville par l’ennemi. Plus de 100 maisons ont été abimées, y compris l’installation sportive d’une école pour les jeunes et la piscine qui a été gravement endommagée. Mais des escouades de déminage travaillent actuellement dans la ville. Ils désamorcent encore des éléments d’armes à sous-munitions. »
« Je veux rentrer chez moi »
Lgov est traversée par une rivière, la Seïme, et son pont est intact, mais plusieurs kilomètres à l’est, c’est un enfer que décrit Vitaly. Cet habitant de Glushkovo réfugié à Koursk continue pourtant à y retourner régulièrement : « J’ai une ferme, il faut bien que j’aille nourrir les canards et les poules. Alors, je prends des risques tout le temps. J’arrive, et si jamais les Ukrainiens frappent les ponts sur la rivière, je me cache dans les buissons et je regarde où sont les drones pour les éviter. »
Pour d’autres, tout retour est pour l’instant inenvisageable. Comme cette trentenaire qui explique en larmes avoir dû quitter son village en périphérie de Soudja, aujourd’hui occupée par l’armée ukrainienne, dès le 7 août, le lendemain de leur entrée sur le territoire russe : « Nous avons entendu que les troupes ukrainiennes approchaient déjà de notre village. Nous avons rassemblé quelques affaires à emporter et fui vers Lgov. Nous avons passé la nuit là-bas, dans le camion de mon mari. Nous pensions que nous reviendrions le lendemain. Et maintenant, nous ne sommes toujours pas rentrés et nous sommes à Koursk. Qu’est-ce que je voudrais rentrer à la maison ! Mais voilà, la frontière n’était pas protégée et les Ukrainiens n’ont eu qu’à simplement la traverser. Bien sûr que je suis en colère. Je veux rentrer chez moi. »
En colère contre qui ou quoi, on ne le saura pas. Évacués ou habitants de la région, la grande majorité fait, elle, déjà le dos rond, comme si elle était déjà entrée dans une forme de nouvelle normalité, d’acceptation d’une situation qui pour beaucoup pourrait durer encore des mois.
À Koursk, les hôtels sont pleins
À Koursk, la capitale de la région du même nom, les évacués ont afflué dès l’arrivée des soldats ukrainiens sur le sol russe. Les hôtels sont pleins. Il n'y a plus beaucoup d'appartements à louer.
La ville a mis en place aussi des hébergements d'accueils et de nombreux points d'aides humanitaires. La Croix rouge est là également, mais le point névralgique de l'aide est le cirque de la ville. L'immense bâtiment a été transformé en hangar de distribution d'aide humanitaire, animé par des volontaires dont l'énergique Ekaterina Lipina. « On travaille en roulement de trois équipes avec une centaine de bénévoles à chaque fois. La nuit, il y a même une vingtaine d'hommes pour décharger les cargaisons et tout préparer pour une nouvelle journée. Nous travaillons donc H24 et 7 jours sur 7. Allez, venez voir : ici, on nous a apporté des oignons, des pommes de terre, des œufs, de l'eau. La dernière fois qu'on a eu des dons, cela venait du Daghestan. Avant cela, nous avons eu des pommes de Crimée, des pastèques de la région de Krasnodar, des œufs de Tcheliabinsk. Cela vient de tout le pays. Ensuite, venez ici, regardez sur ce côté, nous avons des poussettes et des berceaux. Là aussi, ce sont des dons. Et une maman qui vient ici, elle prend ce dont elle a besoin. Nous notons juste ce qu'elle a pris », explique-t-elle.
Dans cet immense entrepôt, l'on peut aussi trouver des kits d'hygiène et d'épicerie. Des dons et une solidarité qui soulignent aussi en creux l'onde de choc qui a secoué la Russie entière. Même si à Koursk, personne ne peut envisager ne serait ce qu'une seconde que la ville ou sa centrale à une heure de route puisse être occupée par l'armée ukrainienne.
Une dizaine d'abris antiattaque à Koursk
Le Kremlin n'emploie toujours pas le mot « guerre » et a choisi, pour répondre à l’offensive ukrainienne sur son sol, la première depuis la Seconde Guerre mondiale, de mettre en place dans la région le régime dit d'« opération antiterroriste ». Dans la capitale de la région, Koursk, dès l'arrivée en train de Moscou, la présence policière à la gare est très visiblement renforcée et à peine le pied posé sur le quai, l'alarme antimissile résonne. Le signe surtout que la batterie antiaérienne est en action. Il y a eu quelques dégâts de l'offensive ukrainienne à Koursk mais ces derniers sont essentiellement matériels. Contrairement à Belgorod, ici, personne pour courir quand les sirènes hurlent. Les autorités ont toutefois commencé à construire des abris dans la ville. Ce mercredi soir, on en comptait selon le service de presse de la région une dizaine.

Ce régime « antiterroriste » a toutefois de lourdes résonances en Russie. Installé en Tchétchénie en 1999 lors de la deuxième guerre, il a duré dix ans. Il implique notamment des pouvoirs étendus aux autorités, comme les perquisitions, le contrôle des déplacements et la surveillance des communications et des correspondances. Pour entrer sur le territoire de la région, il faut d’ailleurs désormais pour la presse russe comme étrangère obtenir une autorisation officielle, et il vaut mieux pouvoir la montrer pour obtenir une interview.
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