Reportage international

Ukraine: l’opéra de Kharkiv célèbre ses 100 ans malgré la guerre

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À Kharkiv, en Ukraine, l’opéra vient de fêter ses cent ans. La ville a beau être située à une trentaine de kilomètres du front, l’institution continue ses spectacles, au sous-sol de cet immense bâtiment. Et si la scène est trois fois plus petite, si plus de la moitié des danseurs et chanteurs sont partis, les représentations font salle comble et pas question pour la troupe d'arrêter.

Des chanteurs d'opéra participent à une répétition dans un espace souterrain qui sert d'abri anti-bombes et de salle de concert en raison des attaques constantes de la Russie contre la ville, au Théâtre national académique d'opéra et de ballet de Kharkiv, le 9 avril 2024, alors que la Russie envahit l'Ukraine.
Des chanteurs d'opéra participent à une répétition dans un espace souterrain qui sert d'abri anti-bombes et de salle de concert en raison des attaques constantes de la Russie contre la ville, au Théâtre national académique d'opéra et de ballet de Kharkiv, le 9 avril 2024, alors que la Russie envahit l'Ukraine. AFP - ROMAN PILIPEY
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Des portés majestueux, des danseurs qui virevoltent. En cette fin d’après-midi, le ballet de Kharkiv donne une représentation de Corsaire, inspirée d’un poème de Lord Byron. On est bien dans l’opéra de la ville, mais au sous-sol. Plus exactement, dans un abri anti-bombes, transformé depuis un an en salle de spectacle. Ici, l’orchestre joue à quelques centimètres des spectateurs. Les quatre cents sièges de la salle ont davantage l’air de chaises de bureau que de confortables sièges de velours, mais tous les regards sont rivés sur les danseurs qui multiplient les figures aériennes.

Olha Charikova, 35 ans, incarne ce soir Gulnare, l’un des rôles principaux. Pour elle, danser à Kharkiv était une évidence : « C’est ma ville natale, mes parents sont ici. Ils ne sont jamais partis. Je veux rester avec eux et faire mon travail. Nous avons l’opportunité de montrer notre art à notre peuple, la guerre est dehors, mais à l’intérieur, nous essayons de leur donner du bonheur et un peu d’espoir pour un futur meilleur. »

Il a fallu s’adapter : la scène, trois fois plus petite, ne permet pas d'exécuter toutes les figures, les décors sont simplifiés et certains morceaux ont même dû être retravaillés pour correspondre aux dimensions de la salle. « "Corsaire" se joue maintenant en deux actes au lieu de trois. Par exemple, dans la dernière scène, il y a un grand navire qui vogue sur la scène et coule. Ça ne peut vraiment être montré que sur une grande scène. Aujourd’hui, le ballet se termine avec des jeunes filles en tutu, des fleurs, et une happy end, parce que nous avons déjà assez de tragédies dans nos vies ! », explique Olha Charikova.

Maintenir l'opéra à Kharkiv, coûte que coûte 

Après le 24 février 2022, la troupe est partie deux ans en Europe, accueillie en Lituanie et en Slovaquie. Mais dès que cela fut possible, ceux qui ont pu le faire sont revenus à Kharkiv. Le directeur de l’opéra, Ihor Tuluzov, a tout tenté pour maintenir l’institution : « Durant les premières semaines, c’était vraiment très difficile, parce qu’il y avait des bombardements constants. Notre bâtiment aussi a été touché. » 

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De nombreuses fenêtres de cette immense dalle de béton ont par exemple explosé. Dans la ville d’ailleurs, même si les ouvriers travaillent vite pour effacer les stigmates de la guerre, on croise encore des façades éventrées, des trottoirs marqués par des éclats d’obus, ou des fenêtres recouvertes par d’immenses palissades.

Après deux ans de fermeture, l’opéra a désormais presque repris une activité normale et propose des spectacles plusieurs fois par semaine : « Pour nous, il est très important de montrer, psychologiquement, que Kharkiv bouillonne », souligne Ihor Tuluzov. « Et puis, nous voulons présenter les exemples les plus éclatants de la culture ukrainienne : l’opéra, le ballet, etc. Ce qui compte aussi, c’est que nous, en tant que troupe professionnelle, nous nous produisions ici, à Kharkiv. La ville avait besoin de notre activité, de notre travail, de nos représentations, de notre soutien », ajoute-t-il.

« Je suis vraiment heureuse de voir qu’à Kharkiv, notre ville vit sa vie »

Plus de la moitié des danseurs et des musiciens sont partis, certains en Europe, d’autres ailleurs en Ukraine. Et d’autres sont partis sur le front. L’un d’entre eux est mort au combat dans les environs de la ville. Chaque représentation est d'ailleurs précédée de l’hymne ukrainien pour leur rendre hommage.

Malgré ces conditions, le directeur de l'opéra se veut optimiste : « Bien sûr, maintenant, nous n’avons plus la possibilité d’accueillir autant de spectateurs. Mais je pense que nous avons aussi gagné un nouveau public : des gens qui n’étaient jamais venus à l’opéra ou au ballet avant la guerre. »

Dans cette ville où beaucoup de bars, de musées et de salles de concert ont dû fermer, venir à l’opéra est un luxe rare. À l’entracte, Yulia, 27 ans, invitée par son amie Khrystyna, découvre les lieux et a encore les yeux qui brillent : « Je suis très heureuse d’avoir la possibilité de voir l’opéra et le ballet à Kharkiv. » À côté d'elle, son amie renchérit : « Je suis vraiment heureuse de voir qu’à Kharkiv, notre ville vit sa vie. »

À l’extérieur, une alerte aérienne retentit : des drones survolent la région. Mais dans la salle, où la sécurité est maximale, personne ne bouge : le public n’entend que la musique. Et dans cet abri, chaque spectacle devient bien plus qu’un simple divertissement : une parenthèse dans un quotidien d’angoisse.

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