À la Une en Asie

En Chine, une partie de la jeunesse gagnée par la course à l’épargne

Publié le :

Voilà une tendance qui ne va pas aider à la relance de la consommation en Chine. À la « Une en Asie » ce mardi, les jeunes Chinois qui se lancent à leur tour dans la course à l’épargne. Avec des influenceurs qui donnent des conseils pour économiser, dans un contexte de ralentissement économique. 

Les jeunes chinois se lancent à leur tour dans la course à l’épargne. (Image d'illustration).
Les jeunes chinois se lancent à leur tour dans la course à l’épargne. (Image d'illustration). AP - Hyung-jin Kim
Publicité

avec Stéphane Lagarde et Chi Xiangyuan du bureau de RFI à Pékin

Dès 6h30 du matin, les premiers clients attendent devant les portes de cette chaîne de restauration rapide à Pékin. Sur la vitrine, un slogan en caractères jaunes sur fond rouge invite à tester un petit-déjeuner à 3 yuans (moins de 50 centimes d’euros), en l’occurrence un gruau de riz ou un porridge de potimarron, auxquels vous pouvez ajouter moyennant un supplément, un beignet frit ou une crêpe chinoise composée d’œuf, de coriandre, d’oignon et de pâte de soja fermentée. « Ce matin, parmi les premiers arrivés, nous avons eu une clientèle composée à moitié de jeunes et une autre moitié de seniors », affirme l’une des serveuses.  

7 500 milliards d’euros d’épargne  

La chaîne fait partie des restaurants recommandés sur des réseaux chinois qui fourmillent de conseils pour faire des économies. Certains ont surnommé cette tendance, le « repas de pauvre » en français. Une manière d’économiser sur les repas au restaurant, mais pas seulement.

Les Chinois mesurent leurs dépenses, après avoir épargné un véritable trésor de guerre pendant les années Covid. Un chiffre à retenir ! Entre 2020 et 2024, les ménages chinois ont ainsi mis 58 240 milliards de yuans - près de 7 500 milliards d’euros - de côté, soit à peu près ce qui avait été épargné sur une décennie entre 2009 et 2019 et quasi l’équivalent du PIB de l’Allemagne, de la France et de l’Italie réunis.

Une épargne colossale que les autorités aimeraient voire réinvestie dans l’économie. Mais pour l'instant, pas question de toucher au bas de laine. Au contraire, des influenceurs et influenceuses comme Yùn Xiǎolěi expliquent à leurs abonnés qu'il est possible, en planifiant un peu les choses, d'économiser jusqu'à 70 % de ses revenus par mois. « Il ne s’agit pas de réduire aveuglément vos dépenses, explique la jeune femme de 28 ans sur Douyin. Celle-ci recommande de s’y prendre de manière progressive, un peu comme pour un régime : « J’ai toujours pris au sérieux l’idée d’économiser de l’argent, parce que ma famille vivait dans des conditions modestes, confie-t-elle à RFI. Mes parents m’ont aidé à cultiver un sens de la planification financière. Il faut que vos objectifs soient gradués sur une année. Je ne fais pas de plans à long terme, car l’épargne dépend de vos revenus. Or, vous ne savez pas quand vous serez augmenté ou quand vous serez licencié. » 

 Ruée vers les dépôts bancaires  

La roulette du chômage mine les esprits, surtout chez les jeunes diplômés, particulièrement touchés par le ralentissement de la croissance. Un contexte marqué aussi par la sortie tardive des restrictions Covid et une longue période d’isolation pendant laquelle les Chinois ont découvert que leur quartier, leur ville et leur pays pouvait être fermés du jour au lendemain. Mieux vaut donc être prévoyant disent les influenceurs, surtout quand la crise immobilière change le modèle de circulation des capitaux. Dans le passé, avec une économie basée sur le BTP, les revenus des gouvernements locaux étaient largement tirés par les chantiers de constructions dont les bénéfices étaient ensuite redistribués dans l’économie locale, note le cabinet de consultant Industrial Securities. Ce n’est plus le cas, alors pour relancer la machine, les autorités veulent s’appuyer sur la consommation. Depuis l’année dernière, il y a eu trois ajustements des taux d’intérêts. La plupart des banques ont annoncé en décembre dernier qu’elles allaient réduire leurs taux d’intérêts, notamment sur les dépôts à termes. Mais pour l’instant, l’appétit d’épargne ne retombe pas. « De nombreux clients se sont retirés des produits de banque privée pour des certificats de dépôts sur trois ans et pour ceux qui investissent dans des produits de gestion de patrimoine, leurs attentes sont désormais de s'assurer qu'il n'y aura pas de perte », explique une gestionnaire de patrimoine d’une succursale de la Banque du Jiangsu à Hangzou, dans la province orientale du Zhejiang, citée par le South China Morning Post. Résultats : en 2022, les nouveaux dépôts des ménages ont totalisé 17 900 milliards de yuans (près de 2 300 milliards d’euros). En 2023, l’échelle des dépôts bancaires est restée élevée, à 16 670 milliards de yuans. Cela sans parler de la ruée vers l’or, considérée comme une valeur refuge quand le ciel de l’économie s’assombrit.   

Consommation et quête de sens  

Les Chinois, rois de l’épargne, et les jeunes ne sont pas en reste. Cette catégorie de la population autrefois qualifiée de dépensière serait même devenue la meilleure épargnante. La célèbre fête du « 11.11 » des soldes et des célibataires ne fait plus recette comme autrefois. Certains secteurs sont obligés d’ajuster leurs prix. « Vous avez vu par exemple que dans certains cafés, les prix ont baissé, poursuit Yùn Xiǎolěi. Même sur le marché immobilier, les gens n’achètent plus de maison. On préfère mettre de l’argent de côté et attendre de voir pour pouvoir réagir aux circonstances imprévues. »  Car au-delà du fait d’épargner, il y a aussi une quête de sens chez ces jeunes économes, comme l’a montré le mouvement « Tang Ping » que l’on peut traduire par « se mettre à plat » ou « rester coucher » : slogan de la jeunesse désabusée des mégalopoles qui a les moyens de rester à « ne rien faire », face à l’absence d’emploi ou des emplois qui ne correspondent pas à leurs attentes. La consommation n’est plus un but, mais une manière de vivre. On cherche des produits durables, utiles. On privilégie la santé, le plaisir, la qualité. « Et lorsqu'on envisage une dépense supplémentaire, on regarde s’il s’agit d'un achat impulsif ou d’une nécessité, dit encore Yùn Xiǎolěi. Si la fréquence d’utilisation risque d’être faible, on peut éventuellement reconsidérer sa décision d’achat. La reporter ou choisir de privilégier l’occasion ou la location. » L’explosion du vintage et des vêtements de seconde main est liée à la mode, mais participe aussi de cette consommation basée sur des besoins réels et en pleine évolution.  

Conflit de génération  

« Attention, le ‘Tang Ping’ n’est pas un mouvement de contestation », analyse le sociologue Jean Louis Rocca. « S’il s’agit de contestation, ce n’est pas contre le gouvernement, mais contre les conditions imposées par le capitalisme et que l’on peut retrouver ailleurs, ajoute ce professeur à Sciences Po, spécialiste de la classe moyennes chinoise, de passage à Pékin récemment. Une jeunesse chinoise en proie à l’inquiétude et au doute concernant son avenir : « Dans les universités d’élite, ça va à peu près, mais dans les universités de second rang, les gens sont obligés d’accepter n’importe quel travail. Ils peuvent être livreurs par exemple, au même titre que des migrants. Donc oui, il peut y avoir des diplômés du supérieur qui font ce genre de job, ou alors qui travaillent temporairement à droite à gauche. Tout dépend de la famille dans laquelle vous êtes. Si vos parents ont des relations, cela peut un peu s’arranger. Mais en tout cas, il y a vraiment un conflit de génération. Les gens qui ont réussi à accumuler et à avoir une position relativement stable sont plutôt satisfaits de la situation. Par contre, la jeunesse est aujourd’hui plus contestatrice ou en tout cas s’interrogent sur son avenir. »

Des interrogations et une quête de sobriété de la consommation, qui obligent certains commerçants à s’adapter dans une économie menacée par la stagflation. « Ils ont créé un produit d’appel à trois yuans pour les petits déjeuners, confie encore la serveuse du restaurant. Mais l’objectif est bien derrière d’attirer davantage de clients. »   

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes