Japon: trois décennies plus tard, la secte Aum demeure un danger public

Ce jeudi 20 mars, le Japon commémore ce qui fut le plus grave attentat terroriste de son histoire : l'attaque au gaz sarin du métro de Tokyo perpétrée par la secte Aum il y a trente ans jour pour jour, le 20 mars 1995. Cet agent neurotoxique extrêmement dangereux qu'elle répandit dans les rames de plusieurs lignes tua 14 personnes. En outre, 6 300 autres ont été blessées, la plupart très grièvement.

Des employés du métro de Tokyo font une minute de silence dans les bureaux de la station Kasumigaseki pour marquer les 30 ans de l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, le 20 mars 2025. © AFP - JAPAN POOL / JIJI PRESS

De notre correspondant à Tokyo,

L'attentat perpétré contre le métro de Tokyo choqua le monde entier car jamais le gaz sarin, une arme de guerre, n'avait encore été utilisé par temps de paix et contre des populations civiles.

Les études montrent que trente ans après les faits, 60% des passagers ou des soignants qui leur sont venus en aide souffrent toujours de gros problèmes de santé. C'est le cas par exemple d'Ikuno Morise, qui était dans une des rames de métro attaquées par Aum. « Tout à coup, j'ai eu terriblement mal aux yeux, ma vue s'est brouillée, j'ai commencé à avoir des palpitations et puis aussi des difficultés à respirer », se souvient-elle. « J'ai alors compris que quelque chose de très grave était en train de se passer et que je devais donc absolument sortir de cette rame le plus vite possible sinon je risquais d'y mourir ». Depuis, Ikuno Morise a régulièrement des problèmes respiratoires, oculaires ou musculaires. « Et une fatigue chronique terrible, qui me cloue souvent au lit », ajoute-t-elle. Pour autant, l'intéressée fait tout pour garder le moral : « Je me dis que je suis en vie et que, peut-être, des jours meilleurs sont à venir... ».

« L'état de santé de la plupart de mes patients évolue grandement du jour au lendemain et de manière toujours imprévisible », témoigne le Dr Shin'ichi Nishimatsu, qui soigne de nombreuses personnes qui furent intoxiquées par le sarin. « C'est bien sûr très déstabilisant pour eux, au quotidien, donc ils nécessitent un soutien constant. Un soutien physique mais aussi psychologique, leur santé mentale étant très affectée par une souffrance aussi interminable ». Quelque 25% des victimes de l'attentat ont été diagnostiquées comme souffrant de stress post-traumatique. Par exemple, elles ont la phobie des transports publics ou des lieux bondés : des gares et des stations de métro aux heures de pointe, par exemple.

Un appel solennel à la vigilance

Mardi, le ministre japonais de la Justice, Keisuke Suzuki, a solennellement appelé la population à la vigilance contre les mouvements sectaires en général et la menace que fait peser la mouvance Aum en particulier. Car trois groupes lui ont succédé. Ils comptent environ 2000 adeptes dont une majorité de jeunes qui n'étaient pas nés en 1995 et n'ont dès lors pas vécu ce terrible attentat. Ces sectes les attirent en leur proposant ce qu'elles présentent comme des cours de yoga ou de méditation transcendantale ainsi que des ateliers dits « de développement spirituel ». Autant d'activités qui sont parfaitement légales, donc ces groupes ne peuvent être interdits : juste très étroitement surveillés.

L'impunité de ces sectes s'explique aussi par la Constitution japonaise, qui sacralise la liberté de culte. C'est dû au fait qu'elle date de 1947 et qu'à l'époque, elle fut rédigée sous la dictée de l'occupant américain. Il exigea que la liberté de religion y figure noir sur blanc car à partir du milieu des années 20, le Japon avait connu une dérive à la fois nationaliste, ultra-conservatrice et militariste pendant laquelle les autorités avaient interdit toutes les activités cultuelles sauf celles liées à la religion ancestrale du pays, le shintoïsme, qui, dans les faits, devint la religion d'État.

Les sectes tirent profit de cette Constitution qui restreint les possibilités d'interventions des autorités en matière de cultes. Et elles prolifèrent comme jamais. On dénombre désormais 183 000 mouvements religieux dans l'archipel. Au total, 10 à 20% des Japonais affirment croire en des religions dites « nouvelles » ou « alternatives ».

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