Fin août, les réseaux d’opposants à Pékin s’agitent sur la toile. Des messages contre « la tyrannie du Parti Communiste » se sont affichés durant près d’une heure sur des immeubles de Chongqing, mégalopole de 32 millions d’habitants. Une performance inédite, réalisée à distance par un dissident déjà au loin. RFI a pu s’entretenir avec lui.

« Je voulais éveiller la conscience d’un maximum de personnes, raconte Qi Hong avec simplicité depuis le Royaume-Uni, où il est parti avec sa famille. J’ai encore des proches en Chine, donc l’objectif était de réaliser cela depuis un endroit sûr. C’est pour ça que j’ai opté pour la méthode des projecteurs ». La décision de quitter son pays prise, il décide de partir avec panache. Après avoir acheté les billets d’avion, il se procure le matériel nécessaire à son coup d’éclat. Dans une chambre d’hôtel du quartier universitaire de Chongqing, il projette des messages innocents sur les murs des gratte-ciels voisins, termine ses préparatifs et part avec sa famille.
Neuf jours plus tard, le 29 août vers 22h, quatre messages s’affichent dans la nuit chinoise : « Sans le Parti Communiste Chinois une nouvelle Chine peut exister », « La liberté n’est pas un cadeau, elle doit être conquise », « Levez-vous, ceux qui refusent d’être des esclaves » ou encore « Pas de mensonges, seulement la vérité. Pas d’esclavage, la liberté. La tyrannie du Parti Communiste doit prendre fin ». Rapidement, la police cherche à trouver et arrêter la personne derrière ce rare acte de défiance. Cinquante minutes plus tard, ils débarquent dans une chambre d’hôtel. Vide. Ils trouvent simplement une webcam qui les filme, incrédules. « Je voulais enregistrer tout l’événement », se rappelle Qi Hong, amusé. « Tout était préparé et puis à la dernière minute, j’ai aussi laissé une lettre. Pour ne pas laisser en difficulté le personnel de l’hôtel, mais aussi pour expliquer les raisons derrière ma décision ». Dans ce texte, il choisit d’interpeller directement les fonctionnaires : « Vous êtes peut-être bénéficiaires (du système) aujourd’hui, mais un jour vous en serez les victimes. (…) Les crimes du Parti communiste dans ce pays sont innombrables. S’il te plaît, essaie de ne pas aider ni encourager leurs atrocités ».
« Je ne pense pas être un guerrier ou mériter d’être mis sur un piédestal »
L’arrivée des policiers dans la chambre vide, cette lettre, comme les messages projetés sur les immeubles ont été diffusés sur le compte X d’un dissident chinois, et ont été vus 20 millions de fois. Si certains critiquent un geste inconscient ou défendent la qualité de vie dont disposent les Chinois en comparaison à d’autres pays, les réactions restent majoritairement positives (NDLR : pas nécessairement représentatif de l’opinion publique chinoise X n’est pas autorisée en Chine) et saluent le courage de celui parfois qualifié de héros, ayant dénoncé par cet acte l’utilisation de la technologie comme bras armé du contrôle du Parti Communiste Chinois.
« Je ne pense pas être un guerrier ou mériter d’être mis sur un piédestal, estime Qi Hong. Les gens m’ont surestimé, je suis quelqu’un d’ordinaire et je n’avais pas pensé à tout ça avant de me lancer », s’amuse-t-il. Il raconte s’être notamment inspiré de Peng Lifa, un homme ayant manifesté seul sur un pont de Pékin en affichant des banderoles contre le Parti et ses strictes mesures de confinement durant la pandémie de Covid. Victime de disparition forcée, il aurait été condamné à neuf ans de prison selon des organisations de dissidents chinois. Dans ses modèles, il cite aussi Mei Shilin, 27 ans, qui a déployé des banderoles dans le Sichuan en avril. « Je n’avais pas le courage de sacrifier ma vie, comme d’autres l’ont fait », souffle M. Qi.
Son parcours raconte la désillusion d’un Chinois pas forcément destiné à devenir un opposant. Né pauvre, autour de Chongqing dans les années 1980, il est l’exemple de l’accession à la classe moyenne, destin commun de nombreux Chinois. « Avant 2006, je pensais juste à avoir un logement stable et manger à ma faim… ». Après de nombreux emplois dans des usines et diverses entreprises, il parvient à s’offrir une vie décente grâce au commerce en ligne et à acheter un appartement à Pékin. Graduellement, sa conscience politique commence à se forger. « J’ai toujours détesté la pratique du guanxi (piston), où il faut entretenir des relations avec les dirigeants pour réussir, donner des cadeaux. (…) Après les Jeux Olympiques en 2008 et notre adhésion à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), nous avions plus de contact avec la communauté internationale et certaines valeurs comme les droits de l’homme ».
Des critiques latentes, un agacement face à la propagande qu’il lit dans les manuels scolaires de sa fille commencent à poindre, sans pour autant s’exprimer au grand jour. Mais à partir de 2018, tout s’accélère. « Xi Jinping a voulu modifier la constitution pour rester au pouvoir et puis sa campagne anti-corruption m’a fait douter davantage à son sujet. Elle était particulièrement féroce, sans pour autant améliorer nos vies ». Alors, il exprime pour la première fois des critiques ouvertes envers « l’empereur » sur les réseaux sociaux, sans conséquence.
La pandémie et l’éveil politique
La pandémie achève sa mue politique. « Ils enfermaient des dizaines de milliers de personnes et quelques personnes contrôlaient tout, nous faisaient vivre comme des esclaves. Certains ne pouvaient pas travailler, il était impossible de faire un pas sans test PCR. J’ai commencé à ressentir davantage de colère ». Le mouvement des feuilles blanches contre la politique zéro Covid et la censure, plus grand mouvement de contestation en Chine depuis le massacre de la place Tiananmen en 1989, a été une révélation pour lui. « Je pense que cela nous a permis d’être déconfinés plus rapidement. Mais regardez, des jeunes qui ont participé au mouvement des feuilles blanches ont été arrêtés. À chaque fois que nous obtenons des droits, quelqu’un paie le prix en coulisse », estime Qi Hong.
Désormais au Royaume-Uni, son avenir et celui de ses enfants est incertain. « Certains dissidents à l’étranger m’ont mis en garde, et je sais que le PCC (Parti Communiste Chinois) a une grande influence à l’étranger ». S’il se dit inquiet, c’est avant tout pour maintenir un niveau de vie suffisant et scolariser ses enfants. Ses comptes bancaires ont été gelés et son retour au pays est désormais impensable. « Si je rentre je pense que je suis condamné à une dizaine d’années de prison… ».
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