Muriel Blanc Duret, une artiste textile engagée dans le tissage
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Aujourd’hui, émerveillement, questionnement et appropriation avec Muriel Blanc Duret, une artiste textile spécialisée dans le tissage d’œuvres d’art uniques. Après une carrière dans le conseil et le management, elle procède à une reconversion vers le tissage et les tapis. Elle quitte son cadre habituel pour s’installer à Aubusson, mondialement connue comme la capitale de la tapisserie.

Formée à la Cité de la Tapisserie et sur différents métiers jusqu’à maîtriser des techniques multiples, le parcours de Muriel Blanc Duret est celui d’une reconversion consciente et réfléchie guidée par le sens et la matière qui sont au cœur de sa pratique artisanale et artistique.
Plus que la création, c'est la capacité de l'homme à créer qui m'intéresse. Je ne suis pas venu pour faire ce que d'autres font déjà très bien. Je suis venu pour explorer de nouveaux univers, de nouvelles possibilités, de dépasser de nouvelles contraintes, d'inventer peut être des choses, ou en tous cas dans la conjugaison des techniques d'inventer quelque chose qui me soit personnel, qui me soit propre et qui contribue aussi à ma signature.
Muriel Blanc Duret, artiste textile et fondatrice de l’atelier Tributs.
« J'ai pris la décision de changer d'orientation professionnelle et d'embrasser une nouvelle carrière, au mi-temps de ma vie. J'ai eu des rencontres qui ont été extraordinaires, qui m'ont facilité la vie. C'était un bilan qui me permettait de dire merci. J'ai pu faire ce que j'avais envie de faire, le dire et le déclarer avec le nom de marque qui est aujourd'hui le mien : c'est Tributs, donc, je paie mon tribut et je sais ce que je dois. Je me rappelle ce que je dois et à qui je le dois, sans être dans la vassalité. Mais sans oubli », précise-t-elle.
Muriel Blanc Duret est née à Lyon, dans le sud-est de la France. Après ses études à Sciences Po Lyon et une année en marketing à Clermont-Ferrand, elle débute une carrière dans le conseil en architecture évènementielle, tertiaire et commerciale en tant que cadre dirigeant et consultante. À mi-parcours de vie, elle opère une reconversion vers le tissage et les tapis. Muriel Blanc Duret a ressenti le besoin d’une quête de sens après une vie professionnelle intense : « Comme beaucoup, j'étais un cadre débordé, proche de la rupture et il fallait absolument que je fasse autre chose sous peine de presque de mourir, c'est ce que je ressentais à ce moment-là. J'aimais beaucoup ma vie professionnelle, mais elle était devenue excessive donc dangereuse pour ma santé. J’ai, donc, entamé une réflexion et je suis allé chercher ce que j'aimais fondamentalement. J'aimais deux choses le tissage, plus précisément les tapis. Et puis j'aimais les mots et je me suis interrogé longtemps. Est-ce que je vais faire le choix des mots ? Et puis le tissage, c'était une folie. »

« Finalement, il y a une histoire importante autour du tapis. Pendant 30 ans, j'ai arpenté la planète et je l'ai arpenté en priorité en partant vers l'est. En partant vers l'est, j'ai reçu une hospitalité que je ne pourrai jamais rendre. Cela a commencé en Europe centrale jusqu'à la chute du mur Berlin. Et puis avoir connu l'ouverture formidable des frontières de l'est, je n'ai jamais cessé d'aller vers l'est. Plus on va vers l'est, plus on croise des tapis, on rencontre les cultures du tapis. J'ai beaucoup vécu, mangé, dormi, fait connaissance sur les tapis. Quand je me suis questionné sur le tissage, finalement c'était une évidence que de faire des tapis, que de tisser des tapis pour rendre un petit peu ce que j'avais reçu. »

Muriel Blanc Duret quitte peu à peu son ancien cadre de vie pour s’installer à Aubusson, où elle suit une formation à la Cité de la Tapisserie : « Je voulais une technique à forte valeur ajoutée parce que j'ai une vision business de mon projet. Dans la Creuse, il y avait de quoi me former, tout l'écosystème, toute la chaîne de valeur était là. Je suis parti en pleine pandémie, c'était un saut dans le vide et c'est resté un saut dans le vide. Aujourd'hui encore, je continue de me dire que c'est une folie. Mais j'aime vivre avec cette folie, c'est à dire la part d'étourdissement que cela me donne et qui est un étourdissement qui est sain par rapport à ce que je vivais précédemment, mais qui me minait petit à petit. J'ai utilisé mes droits à la formation en les complétant un petit peu, j'ai pu apprendre à tisser dans l'orthodoxie aubussonnaise pendant huit mois. Au terme des huit mois, j'ai pris la tangente tout de suite, dans un premier temps, en changeant de type de métier à tisser, parce qu'au niveau ergonomique, le métier aubussonnais ne me convenait pas particulièrement. J'ai réappris à tisser sur un métier vertical comme ceux de la manufacture des Gobelins. »

« J'ai commencé à explorer toutes les techniques qui allaient me permettre d'arriver à la vision que je me faisais des tapis. Ce que j'avais appris Aubusson était une très bonne base, mais n'était pas suffisant. J'ai quêté de nouvelles techniques et aujourd'hui je conjugue de manière tout à fait singulière, et je pense tout à fait unique, un certain nombre de techniques : américaines, andines, macramé, qui me permettent d'arriver à mes fins. »

Le travail de Muriel Blanc Duret est pensé pour des pièces volumineuses et conceptuelles. La laine locale est issue des filatures et ateliers proches d’Aubusson, avec une logique de circuit court. « En étant Aubusson, je fais avec ce qui est. Je fais avec la laine qui est filée à proximité. Nous avons la chance à Aubusson d'être à proximité de deux filatures, une qui me fournit un fil de qualité français costaud, qui n'a jamais trop été utilisé pour le tapis, mais quand j'ai démarré, j'ai fait des tests et cela fonctionnait. Je me fournis à Felletin, à une dizaine de kilomètres de mon atelier, donc le fil est disponible, c'est pratique. Les membres de la Filature, c'est une filature familiale, font partie de l'écosystème et en étant installés sur place, nous sommes peu nombreux finalement dans la Creuse, nous nous connaissons tous. Je les connais. Cela me fait plaisir aussi d'aller leur rendre visite. Et j'ai une autre source d'approvisionnement qui n'est pas la laine, ce sont les fins de cônes. Une fois qu'une pièce a été tissée, et cela peut être dans les grandes manufactures comme dans les ateliers plus modestes, soit les pelotes, les fins de cônes sont conservées, soit ils vont finir par prendre la poussière dans un coin. Moi, je les achète ou on me les donne dans le cadre de ma palette colorielle. Je fais donc avec ce que j'ai et je trouve cela plaisant, cela impose une certaine sobriété et on ne peut plus tendance pour le coup ! Mais je pense que c'est la vie dont j'avais besoin. Cette reconversion, elle répond à cela aussi, à me recentrer, à me réinscrire dans la terre. Je me sens pleinement bien dans le Massif central et réinstallé dans la Terre », raconte-t-elle.

La pratique de cette artiste textile interroge l’époque et l’histoire : pouvoir, orgueil et dynamiques sociétales sont traduits en motifs et en langage visuel sur ses œuvres. « Ce qui m'intéresse, c'est la vie des hommes, la marche du monde. Le début du processus créatif, c’est un sujet. Une fois que j'ai déterminé et pris position par rapport à un sujet. Et, il y a énormément de sujets qui me préoccupent et en même temps que j'ai envie d'émerveiller un peu. Une fois que j'ai pris position, je vais rentrer dans un processus créatif assez classique, c'est-à-dire que je vais chercher la source qui va générer le graphisme de mes œuvres et de mes tissages. On peut prendre l'exemple de la tiare de Babel et qui est aussi significative à la fois de mon amour pour les mots, de mon amour pour le concept et du processus. La tiare de Babel parle de l'orgueil. L'orgueil aujourd'hui fait partie de ce qui met le monde en mouvement. J'observe celui de certains dirigeants, qu'ils soient politiques, qu'ils soient économiques. Il est inspiré par la tour de Babel, puisqu'on reprochait aux bâtisseurs de la Tour, de vouloir gagner les cieux et d'être orgueilleux de pouvoir le faire. Ce tapis est aussi inspiré de la tiare papale. Une petite tiare de Calder qui, comme la tiare papale, reprend trois niveaux. Je pose le sujet et j'observe que les autorités, quelles qu'elles soient, y compris religieuses, cherchent aussi à se hisser vers les cieux. Avec ces supports graphiques que je vais entremêler, avec les mots avec lesquels je vais jouer, parce que plutôt que de parler de la tour de Babel, je parle de la tiare de Babel. Je vais me servir de la proximité phonétique des mots pour à la fois donner un nom à mes pièces et leur donner une physionomie et une forme », explique-t-elle.

Muriel Blanc Duret travaille avec d’autres artisans : tourneurs sur bois, tapissière, ateliers d’Aubusson et acteurs culturels afin que ses pièces prennent vie : « Je positionne mes tapis soit au sol, soit sur des rouleaux et quand ils deviennent des rouleaux, ils sont une promesse de l'histoire que chacun raconte et ils sont un peu plus énigmatiques. Ils ressemblent à des Torahs anciennes ou à des parchemins, des manuscrits enroulés sur des barres. Pour que ces tapis puissent exister sur les rouleaux, j'ai besoin d'un tourneur sur bois, donc, je travaille avec un tourneur dans la Creuse. Je travaille avec une tapissière qui a trouvé une bonne solution en positionnant des sangles sur les barres qui me permettent de solidariser les tapis avec les barres, de sorte qu'ils puissent tenir à la verticale. »

« Et c'est la position que je leur souhaite quand ils ne sont pas déployés sur le sol. Je suis solitaire pendant une partie de mon travail et de toute manière, le tissage, c'est, je crois, une activité, un métier, un artisanat qui nécessite d'être seul, c'est-à-dire, je m'abîme dans tissage, il y a un moment où j'atteins cet état et je m'abandonne à tisser. À ce moment-là, c'est important d'être seul. Mais il est tout aussi important d'être impliqué dans l'écosystème et de profiter, dans le bon sens du terme, de toutes les ressources qui sont nombreuses dans la Creuse et qui m'aident à mettre en place mon projet. »

À travers Tributs, sa marque, Muriel Blanc Duret poursuit une voie artistique mêlant gravité et émerveillement, avec le temps indispensable, un impératif qu’elle s’est fixé à la production de chacune de ses œuvres. « Ce qui me plaît le plus dans mon métier, c'est le temps que je vais accorder à chacune de mes pièces. Il y a toujours des contraintes, bien sûr, mais c'est d'accepter que pour bien faire mon travail, et bien il faut y mettre le temps nécessaire et accepter le rythme aussi du tissage avec la technique de la tapisserie. La tapisserie, c'est un mètre carré par mois, à peu près. Et c'est aussi une folie. Je me disais au niveau économique, tu vas pouvoir faire très peu de pièces par an, mais en même temps, je trouve que c'est réjouissant et là aussi, cela me ramène à la terre, à du concret, cela m'éloigne de ce que j'ai vécu pendant 25 ans en tant que cadre responsable, avec une multitude de projets, en même temps, qui étaient passionnants et qui répondaient à des enjeux importants pour les clients et pour les entreprises pour lesquelles je travaillais. Mais comme beaucoup, j'ai probablement eu le sentiment de ne pas avoir la possibilité de bien faire et de ne pas respecter le rythme, de ne pas respecter le temps nécessaire à bien faire un projet. Ce que j'aime aujourd'hui, c'est de respecter le temps et de l'accueillir. De la même manière que je m'abandonne à tisser, c'est d'accueillir ce temps nécessaire à faire, tout simplement », estime-t-elle.
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