Témoignage d’un médecin français à Wuhan: «On sent une mobilisation incroyable»
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Plusieurs pays, dont les Etats-Unis et la France, se mobilisaient ce mardi pour organiser l'évacuation de leurs ressortissants de Wuhan, épicentre d'une épidémie de pneumonie virale dont le bilan dépasse désormais 100 morts en Chine et qui a contaminé plus de 4 500 personnes. Philippe Klein, médecin français et chef de clinique à Wuhan, témoigne de l'état d'esprit de ces Français mais aussi de la population chinoise, confinée depuis plusieurs jours.

RFI : Quel est l’état d’esprit des Français aujourd’hui à Wuhan ?
Docteur Philippe Klein : L’état d’esprit des Français à Wuhan est forcément anxieux dans le contexte qu’on vit ici. La nouvelle, c’est bien sûr l’évacuation d’une partie [d'entre eux] dans les jours à venir. Et puis il y a le questionnement de ceux qui ne vont pas partir, parce que certains ne partiront pas pour des raisons privées ou des raisons professionnelles.
Parce qu’ils veulent continuer à travailler à Wuhan alors que les usines sont quand même fermées et les bureaux aussi ?
Oui, mais il faut bien se mettre dans l’idée qu'ici, personne ne sait combien de temps cette quarantaine durera. Il y a certaines petites entreprises qui ont une crainte de voir péricliter leurs affaires dans ce contexte. Donc, certains Français préfèrent rester au contact de leurs employés et surveiller l’évolution des choses sur place.
Comment s’organise actuellement cette évacuation pour les expatriés français ?
C’est l’État français, bien sûr, qui organise cette évacuation. On sait que l’évacuation se fera dans les jours à venir.
Et vous, personnellement, comptez-vous quitter la ville aussi ?
Non, je ne quitterai pas la ville parce que des Français vont y rester. Donc, je reste ici à Wuhan et je reste à l’écoute de ces Français. Il y a un énorme travail de réconfort à faire, je dirais, parce que dans un contexte hivernal, il y a plein de raisons d’avoir de la température par exemple. Et beaucoup de Français appellent inquiets et mon rôle, c’est de les écouter, de les rassurer et de faire le tri des patients qui sont potentiellement dangereux et qui ont un « tableau » susceptible d’être infecté par le coronavirus au moment de les prendre en charge.
Et de quelle façon pouvez-vous encore travailler sur place au jour le jour alors que la circulation en voiture privative est interdite ?
Je brave l’interdit. Pour l’instant, personne ne m’a contrôlé. J’ai toujours sur moi ma carte de l’hôpital chinois et ma licence de praticien chinois. Donc, si on devait m’arrêter, je montrerais ces pièces en espérant qu’ils [les agents] soient indulgents.
Quelle est la situation actuellement dans les hôpitaux ? Est-ce que vous, vous pouvez avoir accès à ces hôpitaux qui accueillent les patients et ceux qui ont peur d’avoir le coronavirus ?
Ma clinique internationale est située dans un hôpital chinois. Depuis hier, elle est fermée officiellement parce que mon hôpital a été réquisitionné par les autorités chinoises pour accueillir les patients en hospitalisation présentant des formes sévères d’infection à coronavirus. Donc, on voit toute l’organisation, ligne après ligne, de la réponse chinoise qui est quand même assez incroyable. Et après une période où on a eu l’impression que le système était un petit peu chaotique, on voit maintenant que tout s’organise, qu’il y a une réponse un petit peu guerrière face à la situation et que chacun maintenant va assumer ses responsabilités pour gagner cette guerre.
On entend ici que les hôpitaux à Wuhan seraient dépassés, qu’il y a une très grande affluence. Est-ce le cas ou est-ce que la situation est sous contrôle ?
Non, ça a été le cas certainement la semaine dernière où les « fever clinic », les sept points de triage des patients présentant de la fièvre, ont été saturées. Mais depuis le discours du président Xi Jinping, la venue du Premier ministre hier [lundi] à Wuhan, on sent vraiment un changement et une mobilisation incroyable ici. On entend les gens sortir au balcon en criant « Wuhan, Wuhan ». Il faut le voir et l’entendre pour le croire.
Est-ce que les Chinois ont toujours confiance dans leurs hôpitaux publics alors que ce n’est normalement pas tellement le cas ?
Les Chinois ont un sens du devoir communautaire. Ils se serrent les coudes. Ils ont peur, les Chinois, bien entendu. Quand je questionne les membres de mon équipe, ils ont peur. Mais on sent que depuis que le président Xi Jinping a pris la parole, ils ont repris un espoir. Et maintenant, ils sont dans un état de combattants et ils vont lutter pour arriver à prendre le dessus sur cette épidémie.
Et vous, vous êtes optimiste aussi aujourd’hui ?
Oui, je suis toujours optimiste. C’est d’ailleurs mon devoir d’être optimiste et de rassurer, de rassurer pour éviter toute panique en restant le plus rationnel possible.
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