L’Ouganda repart en guerre contre les importations de fripes
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En Ouganda, le président Yoweri Museveni déclare la guerre aux vêtements de seconde main. Il veut en interdire l’importation. Ces fripes en provenance des pays du nord empêchent la renaissance de l’industrie locale du textile.
C’est lors de l’inauguration d’un parc industriel construit avec des entreprises chinoises que le président Yoweri Museveni a relancé l’idée de cet embargo à la fin du mois d'août. Avec des mots choisis et très applaudis : « Quand les hommes blancs meurent, leurs vêtements sont envoyés en Afrique. La production de nos usines textiles est invendable car le marché est inondé par ces fripes venues du nord. ».
Plus de 6 000 tonnes arrivent chaque mois en Ouganda, pour habiller 80% de la population à des prix défiant toute concurrence. Ce commerce est aussi un gagne-pain : il fait vivre 4 millions de personnes sur place, assure ses représentants, tandis que l’industrie textile locale n’a, pour le moment, que quelques milliers de salariés.
Les termes employés par le président Museveni sont inexacts, mais son appel réactive un vrai débat, récurrent en Afrique
Ce ne sont pas les vêtements des morts blancs qui inondent l’Afrique, mais bien ceux des vivants, qui consomment la mode, la fast fashion, comme un produit jetable. Un produit qu'on envoie dans l’hémisphère sud, surtout en Afrique, dès qu'on s'en lasse. L'Ouganda est un producteur de coton. Dans les années 1970, 85% de la récolte était destinée à l'industrie textile locale. Ce n’est plus que 10% aujourd’hui, et le marché de la fripe et ses prix imbattables en sont grandement responsables.
En 2016 la communauté des États d’Afrique de l’Est a appelé ses membres à bannir ces importations vécues comme un dumping néo-colonial. L’Ouganda a fait deux tentatives mais a échoué, sous la pression des États-Unis, un gros pourvoyeur de fripes, puis sous la pression des importateurs locaux.
Le Rwanda, en revanche, a tenu bon
Le Rwanda a résisté, malgré son exclusion de l’Agoa. Ce programme de soutien aux exportations africaines vers les États-Unis est conditionné entre autres par les importations de ces surplus de vêtements. Pour assécher le marché de la fripe, Kigali a mis en place des tarifs douaniers prohibitifs à partir de 2016, jusqu’à 5 dollars par kilo.
En parallèle le gouvernement a crée de toutes pièces une filière textile, avec les capitaux et le savoir-faire chinois. Les exportations ont décollé : elles ont bondi de 83% entre 2018 et 2020. Elles sont encore modestes, rapportant environ 35 millions de dollars par an. Car c’est bien le marché international qui est visé en priorité, les locaux n'ayant pas encore les moyens d'acheter du made in Rwanda.
L’Ouganda ira-t-il cette fois au bout de ses intentions ?
Kampala n’a plus grand-chose à perdre du côté américain. Ses exportations textiles vers les États-Unis ont été suspendues, en signe de protestation contre la loi anti-homosexualité adoptée au mois de mai dernier. Le gouvernement avance prudemment à cause d’autres critères économiques. L'embargo pourrait attirer de nouveaux venus – les vêtements neufs à bas coûts produits dans les pays émergents – et cet embargo nuira au pouvoir d'achat des Ougandais, déjà fragilisé par l'inflation.
Le meilleur avocat du monde de la fripe est le styliste ougandais Bobby Kolande. Déçu par la faiblesse de la production nationale de fibres, il crée à base de ces vêtements usagés des collections qu’il exporte ensuite à prix d'or vers les pays du nord. Son slogan : « Retour à l'envoyeur. » Une démarche politique et une réussite économique. Dans une tribune publiée par le Guardian, il explique que cet embargo n'est pas la solution. Au lieu d'aider les Chinois qui prospèrent dans la région, le gouvernement, suggère-t-il, ferait mieux d’orienter ses aides vers les jeunes entrepreneurs nationaux pour mettre sur pied une filière durable, la vraie réponse du sud à cette fast fashion polluante et à ses rebuts qui encombrent l'Afrique.
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