C'est dans ta nature

Le tigre rayé de la carte ?

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Le Nouvel An chinois, mardi 1er février, est placé sous le signe du tigre. Le félin le plus imposant de la planète est pourtant grandement menacé. Il n’a qu’un prédateur : l’humain.

Le tigre est menacé d'extinction.
Le tigre est menacé d'extinction. © AFP/Prakash Mathema
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Il est l’animal de tous les superlatifs. Le félin le plus grand de la planète, l’animal terrestre le plus carnivore après l’ours, capable d’avaler près d’une vingtaine de kilos de viande en une seule fois, à la puissance vocale des plus remarquables, son rugissement peut-être entendu à plusieurs kilomètres.

Le tigre, qui va accompagner le Nouvel An lunaire (mardi 1er février), est aussi l’animal le plus charismatique, selon une étude menée en 2018 par le chercheur du CNRS Franck Courchamp, directeur du laboratoire Écologie, systémique et évolution de l’université Paris-Saclay. L’animal est populaire et sa représentation sans limites dans la culture, le cinéma, la publicité...

« Un tigre dans votre moteur »

« Produit d’appel » des parcs zoologiques, le tigre est partout, dès lors qu’il s’agit d’exploiter l’image de sa puissance (« Mettez un tigre dans votre moteur », promettaient au XXe siècle les stations-service Esso), quand il s’agit d’évoquer au contraire un gros chat (« Dieu a inventé le chat pour que l’Homme puisse caresser un tigre », selon Victor Hugo), plus rarement sa férocité (sauf lorsqu’il s’agit d’endosser le rôle du méchant, comme Sherkan dans Le Livre de la jungle.)

Le tigre est particulièrement populaire en Asie, et pas seulement parce que c’est la seule région au monde où on peut rencontrer une des six sous-espèces identifiées encore vivantes et en liberté, en Inde, en Chine, en Sibérie ou en Thaïlande. « Le tigre a une symbolique énorme en Asie, souligne Franck Courchamp. Il n’y a qu’à voir toutes les vertus qu’on prête à tous les produits dérivés du tigre en médecine traditionnelle pour comprendre que c’est un des animaux les plus charismatiques dans ces pays-là. » Et cette utilisation-là du tigre s’avère un problème.

Chassé pour sa force

Dans l’étude menée par Franck Courchamp, les personnes interrogées ne sont paradoxalement pas conscientes du risque de la disparition du tigre. C’est le dernier superlatif, et pas des moindres, appliqués aux tigres : Panthera tigris est aussi l’une des espèces les plus menacées d’extinction. Sa force est devenue une faiblesse. 

Réputé dangereux, le tigre est en réalité en danger. La faute aux hommes qui tuent pour le plaisir et pour flatter leur ego cet animal à la réputation de « mangeur d’hommes ». Franck Courchamp relève « une espèce de besoin de dominance de l’homme par rapport à une espèce très forte, une forme de virilité quand on arrive à la vaincre. On peut imaginer qu’il y a quelques millénaires ou quelques siècles, c’était une prouesse de tuer un tigre, maintenant c’est quand même beaucoup plus facile. Ça n’empêche pas que des gens aient envie de les tuer encore aujourd’hui pour se sentir tout puissants. Comme ce sont de grands prédateurs, on est en compétition avec eux et donc depuis que l’humanité est humanité, on a chassé les prédateurs, et quand ils ne nous menaçaient plus on les a persécutés et on continue de le faire, c’est malheureusement dans notre nature animale. »

Espace vital

Au sommet de la chaîne alimentaire, le tigre n’a pas de prédateur, à part les humains, amateurs de trophées ou de médecine traditionnelle. « Tout est bon dans le tigre, c’est un peu comme dans le cochon ! Et un tigre entier, c’est à peu près l’équivalent de dix ans de salaire dans la plupart des pays où il y a des tigres », constate Franck Courchamp.

Animal solitaire, le tigre n’aime pas partager son territoire, et il doit être immense. « Chaque tigre, individuellement, a un domaine vital important. Si les aires de protection sont trop petites, les tigres vont en sortir et risquent de se faire tuer en dehors de ces zones protégées. » Cet espace vital, en Asie, se rétrécit partout, sous la pression démographique, la déforestation. En Inde, par exemple, le pays qui compte le plus de tigres, la population humaine a doublé en 50 ans. L’urbanisation grignote alors les espaces naturels et les territoires où vivent des tigres sont de plus en plus morcelés. 

95 % des tigres ont disparu

Résultat : il ne reste aujourd’hui que 7 % de l’aire de répartition historique du tigre dont la population s’est effondrée de 95 % en un siècle. Dans le monde, on compte plus de tigres en captivité qu’à l’état naturel. « On a 3 000 tigres, dont moins de la moitié de femelles, et encore moins qui sont sexuellement actives. De plus, elles sont toutes isolées, puisqu’il y a plus de 50 patchs de populations isolées les unes des autres. Ce n’est pas une grande population, et si on rajoute à ça le braconnage, encore assez intense, il y a très peu de chances, si on ne change pas les choses très vite, que les tigres à l’état naturel subsistent encore quelques décennies. » 

L’espèce humaine sauvera-t-elle Panthera tigris après l’avoir massacré ? C’est une question de moyens financiers, et Franck Courchamp suggère de taxer les entreprises, nombreuses, qui utilisent la représentation du tigre dans leur commerce. Une sorte de droit à l’image des animaux sauvages« déjà en vigueur en Grande-Bretagne, souligne Franck Courchamp. Les Britanniques ont appelé ça “la part du lion”. » De son côté, le WWF, le Fonds mondial pour la nature, a lancé en 2010 l’opération Tiger X 2, avec le soutien des gouvernements des 13 pays où le tigre est encore présent. Objectif : doubler la population de tigres à l’état naturel, pour arriver à 6 000 individus en 2022. Les résultats sont attendus à l’automne.

« Peut-on acheter un tigre ? »

Le commerce du tigre est interdit depuis 1987. Mais le chercheur Franck Courchamp en relève un effet pervers redoutable, lié à la loi du marché : ce qui donne de la valeur, c’est la rareté. Et les douaniers peuvent l’observer : la hausse du trafic d’une espèce est souvent liée à l’interdiction de son commerce. Une grosse centaine de tigres sont ainsi saisis chaque année. La hausse des prix sur le marché illégal encourage les chasseurs, malgré la rareté du tigre sur le terrain. 100 000 individus au début du XXe siècle, à peine 4 000 aujourd’hui. Le tigre risque d’être rayé de la carte.

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