Chemins d'écriture

Explorer les heurs et malheurs de l’exil, avec l'Anglo-Congolais JJ Bola

Publié le :

Né en RDC et vivant aujourd’hui à Londres, JJ Bola est la star montante de ce qu’on appelle la « Black British literature ». Entré en littérature par la poésie, l’homme est aussi romancier et essayiste. Son premier roman Nulle part où poser sa tête, qui vient de paraître en français, raconte les tourments d’une famille de réfugiés congolais en Angleterre, confrontés au racisme et à la précarité. Un livre qui se veut aussi une réflexion sur la migration, l’exil et l'appartenance..

JJ Bola est l'auteur de trois recueils de poèmes, d'un essai et de deux romans. Nulle part où poser sa tête qui vient de paraître en traduction française est son premier roman.
JJ Bola est l'auteur de trois recueils de poèmes, d'un essai et de deux romans. Nulle part où poser sa tête qui vient de paraître en traduction française est son premier roman. © Tune Somoye
Publicité

Soirée de récital poétique à Londres. Sur la tribune, JJ Bola, une guitare à la main. « Il se passe quelque chose de beau… », déclame le poète anglo-congolais, évoquant la beauté du monde qui vient, l’harmonie du soir propice à la rencontre des âmes et le chant des ancêtres trop tôt disparus… Poète, romancier, éducateur de rue, militant de la cause des migrants, le trentenaire est l’une des voix montantes de la nouvelle génération d’écrivains britanniques issus de l’immigration. Né de parents congolais de la RDC, réfugiés en Angleterre fuyant la dictature de Mobutu, JJ Bola a grandi à Londres où il a débarqué à l’âge de 6 ans, tout au début des années 1990.

« Être un réfugié, c’est vivre dans une crise perpétuelle », aime à répéter Bola. L’écriture lui a permis de conjurer ses fantômes et de se reconnecter avec les vibrations de la vie. Le jeune homme s’est fait connaître en participant à des lectures publiques de poésie. Sa poésie, proche du rap et du hip-hop, raconte les heurs et malheurs de la vie, la quête identitaire et les traumatismes du quotidien.

 « Toujours, mon coeur battra  pour la poésie, confie Bola dans une interview téléphonique avec RFI.Je pratique aussi bien la poésie que la prose, mais je reste fondamentalement un poète. La poésie, c’est une manière créative d’aborder le monde, car elle fait appel au cœur plutôt qu’à la pensée. La phrase poétique est aussi dotée d’une énergie musicale, voire vibrationnelle. On le voit lors des lectures publiques, avec les poètes venus déclamer eux-mêmes leurs compositions sur scène. J’ai souvent assisté à des récitals poétiques où j’ai vu parfois l’auditoire fusionner avec le poète dans une symbiose à la fois vibrationnelle et émotionnelle. C’est ça, le véritable pouvoir de la poésie. »

Métaphoriques et évocateurs

JJ Bola a trois recueils de poèmes à son actif, aux titres métaphoriques et évocateur: Elevate ou « S’élever » paru en 2012, Daughter of the Sun ou « La fille du soleil », publié en 2014 et Word ou « Vocable », daté de 2015. Ses poèmes, surtout dans son dernier recueil, explorent le sentiment d’appartenance et les tourments de la double culture. Bola est aussi l’auteur d’un essai consacré à la déconstruction du mythe de la virilité dans les sociétés contemporaines et, enfin, de deux romans.

Son premier roman, Nulle part où poser sa tête, qui vient de paraître en traduction française aux éditions Mercure de France, est très largement autobiographique. Son sujet : la schizophrénie du réfugié, tiraillé entre la nostalgie du pays perdu et la nécessité impérative de trouver sa place dans son pays d’accueil malgré l’hostilité et le rejet. Jean Ntanga, un adolescent de 10 ans, réfugié à Londres avec sa petite sœur et ses parents, est le personnage principal du récit. C’est à travers les yeux de ce narrateur naïf, confronté aux intempéries de la vie, que l’histoire est racontée.

La famille Ntanga a fui dans des conditions dramatiques les atrocités et la répression dans le Zaïre du maréchal Mobutu. Le père, qui avait fait des études de médecine, a dû accepter un travail de vigile en s’installant à Londres afin de subvenir aux besoins des siens. La mère, fille d’un notable du régime congolais, travaille comme assistante de cantine scolaire. Plus inquiétant encore pour la famille, leur demande d’asile n’ayant pas encore abouti, elle vit sous la menace d’être expulsée du jour au lendemain. Leur précarité administrative et financière n’empêche pas toutefois les parents de Jean d’héberger chez eux, par sens de solidarité, d’autres Congolais dans le besoin, ayant fui tout comme eux la dictature et le chaos.

Malgré les échos du monde extérieur qui viennent parfois se fracasser contre les murs de leur petit appartement au septième étage d’un immeuble situé dans le quartier populaire de la ville, Jean et sa soeur grandissent dans l’insouciance, protégés par la sollicitude de leurs parents. À la maison, les enfants vivent à la Congolaise, mangeant du pondu et du kwanga, écoutant leur papa raconter les légendes de leur pays d’origine et les histoires de ses guerriers courageux, sur fonds de la rumba déversée par un vinyl. Ayant grandi, lui aussi, dans une famille qui avait su garder vivace la nostalgie du Congo natal, l’auteur JJ Bola aime raconter combien l’enracinement dans son héritage africain fut précieux pour lui et lui permit de se structurer.

« À la maison, nous vivions à la congolaise mais, à l’extérieur, il était difficile d’être plus londoniens que nous, se souvient l’auteur de Nulle part où poser sa tête. Entre nous, nous nous exprimions dans une sorte de sabir que j’avais l’habitude d’appeler le « frangala », où le lingala se mêle à des expressions françaises et anglaises. Notre quotidien à l’intérieur de la maison était rythmé par la musique de chez nous et les sonorités de la télé congolaise. Cet écosystème africain dans lequel nous baignions m’a beaucoup aidé plus tard à me forger une identité et à assumer ma « congolitude », malgré l’hostilité que peut susciter parfois dans la rue ma différence. »  

Un roman d'apprentissage

Nulle part où poser sa tête (Mercure de France) est le premier roman de l'anglo-Congolais JJ Bola. Ce dernier est l'une des voix montantes de la nouvelle génération d'écrivains britanniques issus de l'immigration.
Nulle part où poser sa tête (Mercure de France) est le premier roman de l'anglo-Congolais JJ Bola. Ce dernier est l'une des voix montantes de la nouvelle génération d'écrivains britanniques issus de l'immigration. © Mercure de France

Porté par une étonnante économie de moyens pour un premier roman et une langue poétique, Nulle part où poser la tête est un bildungsroman, un roman d’apprentissage de la vie et du monde. La grande chance de Jean, le protagoniste du récit, est d’avoir été pris en charge à l’école par un professeur disponible et ouvert d’esprit, qui a cru dès le départ en ses potentialités. Dès le premier jour de la rentrée, Monsieur David emmène le gamin à la bibliothèque espérant qu’il y trouvera des réponses à ses interrogations sur la marche du monde et sa place dans la société. Il lui offre aussi un beau cahier marron, lui recommandant de tenir son journal.

Ces scènes sont inspirées des étapes de la vie de l’auteur, JJ Bola, qui a raconté combien la lecture de romans de George Orwell, découverts à la bibliothèque de son lycée, lui avaient permis de comprendre les mécanismes de la dictature que ses parents avaient dû fuir. Le Monde s’effondre de Chinua Achebe l’aida à regarder l’Afrique autrement qu’au travers de la grille coloniale occidentale. C’est cette histoire d’apprentissage du monde qu’il raconte dans sa poésie comme dans sa prose, puisant dans l’écriture des ressources pour se structurer.

L’homme entretient un rapport quasi mystique avec l’écriture, comme il l’explique en répondant à la question incontournable de cette chronique : « Pourquoi est-ce que vous écrivez, JJ Bola ? » La réponse fuse : « J’écris parce que je ne peux faire autrement. Je ne saurais expliquer le phénomène, mais je sais seulement qu’il y a une force au fond de moi qui me pousse à écrire. C’est une petite voix intérieure, qui s’impose à moi. Je suis forcé de l’écouter, en la laissant me guider sur le chemin de l’écriture. Je dois suivre son diktat sans faillir. Écrire relève d’un besoin impératif de m’exprimer qui plonge ses racines dans les profondeurs impénétrables de ma conscience. »

En refermant Nulle part où poser sa tête, on ne sait pas si son jeune héros trouvera, à son tour, dans l’écriture la clef de son accomplissement. Confronté à la question essentielle de sa place dans la société occidentale où il a choisi de vivre, Jean n’en livre pas moins une réflexion aussi lucide que poignante sur sa quête de chez-soi en tant qu’exilé, une quête à jamais assouvie.


Nulle part où poser sa tête, par JJ Bola. Traduit de l’anglais par Antoine Bargel. Éditions Mercure de France, 318 pages, 24 euros.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes