Explorer la mémoire familiale, avec le romancier Matthieu Niango
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Admirateur de Raymond Radiguet et de Marguerite Duras, Matthieu Niango est agrégé de philosophie. Né d’un père ivoirien et d’une mère française, l’homme est aussi écrivain, essayiste, romancier, dramaturge. Après un premier roman qui était un thriller d’anticipation, il vient de publier cet automne Le Fardeau, son second roman qui puise son matériau dans l’histoire familiale et intime de l’auteur, où il est question de guerre, d’amour, de pureté raciale et de construction identitaire. Le Fardeau est au menu des Chemins d’écriture de ce dimanche.

« J’ai eu peur, cette nuit-là. Nous étions dans la maison de famille de Camille, sur une colline dans les Cévennes. Je marchais dans le salon en berçant Georges, notre petit dernier, âgé de sept mois, pour l’endormir. J’ai senti une présence dans un coin de la pièce. Je me suis retourné. C’est là que je t’ai vue, qui me fixais de tes yeux bleus sous tes cheveux pâles. J’ai serré mon enfant, reculé, cogné la table et fui jusqu’à la chambre. Ta silhouette dans la nuit des Cévennes. Je sais que ce n’est pas vrai. J’ai trop regardé ta photo, trop ressassé ton histoire, trop essayé de comprendre pourquoi tu as fait ça, voilà tout. »
Ainsi commence Le Fardeau. Un lourd et bouleversant secret familial est au cœur du nouveau roman de Matthieu Niango. Longtemps caché sous le couvercle de la bienséance, le secret éclate au grand jour le soir de la mort de la grand-mère maternelle de l’auteur. C’est en effet l’occasion que choisit la fille de la défunte, qui n'est autre que la mère du narrateur, pour révéler à sa famille qu’elle est une enfant adoptée. Une vérité que celle-ci a longtemps refusé d’admettre, mais à l’initiative de son fils qui ne veut plus vivre avec ce « fardeau », elle va se laisser entraîner dans une enquête au long cours et transfrontalière qui finira par lever le voile sur une part du mystère de ses origines.
Un grand-père nazi
Le duo va de révélations en révélations. Leur ampleur les laisse pantois, sous le choc. Née pendant la Seconde Guerre mondiale, la mère se révèle être le fruit des amours d’un soldat nazi et d’une ouvrière hongroise immigrée en Belgique. « Quel ne fut mon choc d’apprendre que j’avais un grand-père nazi ! », s’écrie l’auteur-narrateur Matthieu Niango. Le choc se transforme en consternation lorsque les archives révèlent que sa maman était née dans un Lebensborn, une pouponnière nazie, où elle fut abandonnée par sa mère.

Symbole de l’idéologie nazie, les Lebensborn avaient pour mission de promouvoir l’avènement de la race aryenne, explique Matthieu Niango : « Le Lebensborn, c’est un projet qui a été imaginé, conçu, mis en place par Heinrich Himmler, le chef de la SS. Des super nazis quoi. C’est aussi une espèce de secte. Le cœur de cette religion, c’était la race aryenne. L’idée qu’il avait existé, dans les temps immémoriaux une race parfaite d’humains. C’est ça l’idée la plus profonde du Lebensborn, la plus folle, de dire qu’on va essayer de croiser les spécimens les plus proches de cette race, le blond aux yeux bleus, pour le dire très très vite. Et par distillation du sang successif, cette race va revenir. C’est un projet incroyablement raciste qui est là-derrière. Et les Lebensborn, ce sont des pouponnières, ce sont des crèches dans lesquelles les mères de bonne race peuvent soit venir accoucher et laisser l’enfant, soit le laisser là quelque temps. Des lebensborn, il y en a eu dans toute l’Europe occupée. Ma mère, elle, est née dans un Lebensborn en Belgique, dans le Wégimot. »
Et l’auteur de s’interroger sur les raisons qui ont pu motiver sa grand-mère pour confier sa fille à une pouponnière nazie. Sa démarche est d’autant plus incompréhensible qu’elle était vraisemblablement – autre révélation majeure de l'enquête – d’origine juive, ayant grandi dans le ghetto juif hongrois. Quelques-unes des plus belles pages de ce livre sont consacrées à cette grand-mère biologique, mystérieuse et belle, qui surgit dans les archives de police que ses descendants ont pu consulter à Bruxelles, avant de partir sur ses traces en Hongrie pour reconstituer son parcours entre Budapest, Bruxelles et la Moselle où elle aurait aussi séjourné.
Une aïeule blonde aux yeux bleus
Margit est la véritable héroïne de ce récit. « Elle a vécu des événements terribles, écrit l’auteur, abandonné sa fille au Lebensborn, beaucoup souffert, mais n’avait pas les mots pour mettre tout cela à distance, l’expliquer et lui donner un sens. » Elle hante ses pages, car l’exploration mémorielle dans les archives familiales et publiques ne parvient pas à expliquer les motivations profondes de ses actes.
C’est en mêlant la fiction et l’imagination au récit de vie que l’auteur Matthieu Niango réussit à libérer son « aïeule blonde aux yeux bleus » de la prison de l’Histoire, comme celui-ci l’explique au micro de RFI : « J’ai mis beaucoup de temps à savoir comment j’allais faire. Au départ, ça me semblait insurmontable parce qu’il y avait énormément de matériaux. Je me suis dit comment je vais faire pour donner sens à cela. Et qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis tourné vers une de mes grandes admirations littéraires qu'est Duras, " L’Amant " de Duras. Et je me souvenais qu’il y avait une forte réflexion sur l’autobiographie, que je cite de mémoire. Elle dit : l’histoire de ma vie n’existe pas, il n’y a pas de chemin, pas de ligne, seulement de vastes endroits où l’on fait croire qu’il y avait quelqu’un. Ce n’est pas vrai : il n’y avait personne. Et c’est très beau. C’est-à-dire en fait l’histoire n’existe que d’être écrite. Donc, c’est plus honnête de dire que ce livre est un roman, parce qu’un récit sur une histoire pareille, qui mêle plusieurs générations, qui cherchent des relations causales, il y a forcément une part de fiction. Il ne peut pas en être autrement. »
Entre fiction et réel, ainsi vogue Le fardeau, rappelant que les histoires n’existent que parce qu’elles sont racontées.
Le fardeau, par Matthieu Niango. Éditions Mialet Barrault, 391 pages, 22 euros.
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