Écrivain britannique d’origine zanzibarite, Abdulrazak Gurnah est le prix Nobel de littérature 2021. Dans ce second volet de la chronique « Chemins d’écriture » consacrée au lauréat, l’écrivain explique le pourquoi et le comment de son art poétique, revient sur ses obsessions et nuance la question des influences. Entretien.

RFI: Pourquoi écrivez-vous, Abdulrazak Gurnah (1) ?
Abdulrazak Gurnah: Je ne me pose plus ce genre de questions. Voyez-vous, lorsqu’on a fait comme moi le choix de s’engager sur le chemin de l’écriture, on devient très vite « accro ». On a hâte de se lancer sur un nouveau projet, surtout si ça a marché les premières fois. Aujourd’hui, il n’y a plus de barrière pour moi entre la vie et l’écriture. Le temps des interrogations est derrière moi. J’écris, tout simplement.
Comment vient l’inspiration ?
C’est différent à chaque fois. L’inspiration ne vient pas d’un coup, comme ça. C’est un processus qui passe par des phases d’essais et des tentatives répétées. Parfois, c’est une idée qui m’obsède ou une image dont je ne peux pas me débarrasser. C’est le point de départ. Ensuite, progressivement, les idées s’organisent et tout un univers prend corps sous votre plume.
À quoi sert la littérature, selon vous ?
En premier, je dirais, à procurer du plaisir. Je me le répète régulièrement : « n’oublie jamais, tu écris pour donner du plaisir à tes lecteurs ». Je veux raconter des histoires qui plaisent, qui captivent l’imagination et qui soient en même temps exigeantes dans un sens constructif du terme. En dernier lieu, ce que fait la littérature, et cela a son importance, c’est qu’elle nous fait entrer dans l’épaisseur de la vie, en apportant au lecteur une multitude de détails sur le vécu des personnages.
Ce sont les finalités que vous avez en tête quand vous vous mettez à votre bureau pour écrire ?
Les motivations de l’écrivain peuvent varier. Elles ont parfois trait aux expériences douloureuses que je dois détricoter. Parfois, raconter peut être un moyen salutaire de démêler la confusion qui obscurcit ma perception des choses. J’écris aussi pour dénoncer des injustices.
Diriez-vous que les effets du colonialisme, le destin des migrants sont les grands thèmes de vos dix romans, comme l’a rappelé le jury Nobel ?
Ce ne sont pas les seuls. J’ose croire que mes récits parlent tout simplement des relations humaines. Ils racontent comment vivent les gens, comment ils apprennent à pardonner, à être généreux, sans oublier les brutalités et les cruautés. Certes, le colonialisme et l’impérialisme sont au cœur de mes livres, mais je raconte aussi d’autres formes d’injustices : par exemple, celles qui sont perpétrées contre les enfants ou contre les femmes. Vous savez, les romans sont des artefacts complexes, qui agissent dans des directions multiples.
Quels sont les écrivains que vous lisez et qui vous ont influencé ?
J’ai beaucoup de mal à répondre à cette question. Les écrivains passent leur temps à lire et à écrire. Cela ne signifie pas du tout que ce qu’ils écrivent découlent directement de leurs lectures. Pour ma part, personne ne m’a influencé. Ce que j’écris, je l’écris en puisant dans mes propres connaissances, mes expériences, mes émotions, dans ma propre vision du monde. Bien entendu, les lectures m’ont fait réfléchir, elles ont élargi l’horizon de mes savoirs et de ma compréhension de la vie. Oui, il m’est arrivé parfois d’être marqué par une tournure de phrase, des remarques, des ambiances, glanées chez d’autres écrivains et dont on peut éventuellement retrouver la trace dans mes propres écrits. Par exemple, dans son roman Feu pâle, Nabokov raconte la maison ancestrale que son personnage a dû quitter dans son enfance et du sentiment infini de perte qui en a découlé. Il parle d’un « noyau dur de solitude ». Cette expression m’avait ému et elle est restée dans mon esprit comme une sorte de cicatrice indélébile. Diriez-vous pour autant que j’ai été influencé par Nabokov ? Pourtant, je n’écris pas comme lui. Voilà pourquoi quand je dis que personne ne m’a influencé, ce n’est aucunement une affirmation mensongère de ma part.
►À lire aussi : Voguer entre enfer et paradis dans l’Afrique précoloniale, avec Abdulrazak Gurnah 1/2
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- Réédités par les éditions Denoël et d’ailleurs, trois romans de Gurnah sont disponibles en français : Paradis (traduit de l’anglais par Anne-Cécile Padoux), Près de la mer et Adieu Zanzibar (traduits tous les deux par Sylvette Gleize). Il est aussi l’auteur de sept autres romans qu’on pourra lire en anglais : Memory of Departure (1987), Pilgrim’s Way (1988), Dottie (1990), Admiring Silence (1996), The Last Gift (2011), Gravel Heart (2017), Afterlives (2020).
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