Voguant entre fiction et biographie, avec Abdourahman Waberi
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Treizième roman sous la plume du Franco-Djiboutien Abdourahman Waberi, Dis-moi pour qui j’existe met en scène le dialogue entre un père et sa fille tombée subitement malade. Un récit poignant sur fond de peur de la finitude, de souffrance et d'enfance déchirée.

« Si écrire, c’est dérober du temps à la routine, si écrire c’est tourner le dos à la vie pour la plupart des gens, pour moi c’est tout le contraire. L’écriture est le terreau où mes jours sont plantés, l’humus où la poudre de mes os est jetée. Et le silo où l’or de mes songes est enfoui. Écrire, c’est ouvrir un atelier permanent pour apprendre à vivre, page après page, jour après jour. Nos ancêtres nomades et leurs camélidés s’abreuvent au même puits, d’abord les bêtes, puis les hommes. Leur abreuvoir est un atelier permanent où les jeunes viennent apprendre les gestes essentiels. Un abreuvoir grand ouvert comme un ciel ou comme un cahier accueillant les quatre vents de la vie qui font éclore les couleurs du jour. »
La littérature est « un abreuvoir grand ouvert comme le ciel », affirme le romancier djiboutien Abdourahman Waberi. Tiré du nouveau roman de l’écrivain, Dis-moi pour qui j’existe ?, l’extrait ci-dessus est emblématique de la prose de ce grand auteur francophone, une prose toujours lumineuse, profonde, et poignante d’humanité.
Poignante d’humanité, comme l’est le nouveau roman de Waberi, dont le titre est tiré de la célèbre chanson du crooner franco-américain Joe Dassin, « Et si tu n’existais pas ». La chanson donne le ton de ce récit autofictionnel, mélancolique et romantique à souhait. Le roman s’inscrit dans le prolongement du précédent opus de l’écrivain, Pourquoi tu danses quand tu marches ? Son histoire : sur le chemin de l’école, une petite fille prend son courage à deux mains pour demander à son père pourquoi il boîte. Celle-ci s’était souvent demandé pour quelle raison son père ne marchait pas normalement comme les autres pères, sans jamais oser lui poser la question. L’interrogation sera l’occasion pour le père de raconter ce qui est arrivé à sa jambe, la maladie et le drame de son enfance djiboutienne qui ont fait de lui cet homme qui danse toujours.
Dans le nouveau roman de Waberi paru récemment, Béa, la fille du narrateur-auteur, est cette fois la principale protagoniste. La petite fille est tombée malade à son tour, atteinte elle aussi d’une arthrite juvénile qui la cloue au lit. Elle doit être hospitalisée. Maladie héréditaire ? Maladie génétique ? La question se pose. Le père culpabilise, d’autant que, professeur de littérature dans une université à Washington, celui-ci ne peut être au chevet de sa fille autant qu’il le voudrait. Père et fille finiront par trouver le moyen de communiquer, notamment à travers leur journal de bord, dans lequel chacun raconte ses angoisses, ses souffrances, ses espoirs aussi.
Dis-moi pour qui j’existe est le gage d’assurance que le père donne à sa fillette pour la rassurer, pour lui témoigner de son amour et de sa présence malgré l’absence physique que les coups de fils ou les conversations par Skype ne peuvent combler. Le roman est né de ce dialogue poignant, bouleversant et intime, comme l’explique l’auteur : « C’est un dialogue entre un père et une fille, donc romanesque et à la fois sur un terrain autobiographique. On voit comment la maladie change la relation entre eux, leur façon de se parler, de se comporter, de se regarder. Et comment l’écriture, la culture nous rendent plus forts contre la mort ou la finitude. Quelle position avoir face à la mort ? Comment vivre finalement par débordement des dangers de la maladie ou de la mort ».
Pudeur et poésie
Abdourahman Waberi s’est fait connaître dans les années 1990 en publiant des récits novateurs, campés à mi-chemin entre poésie et fiction. Ses premiers titres Le Pays sans ombre, Cahier nomade ou encore Balbala puisent leur inspiration dans la nostalgie de l’exilé pour le pays natal et dans la lecture des grands auteurs africains et d’ailleurs que l’écrivain a découverts en venant s’installer en France pour ses études. Ses découvertes ont pour noms Nuruddin Farah, Thierno Monenembo ou encore Salman Rushdie, Édouard Glissant, Tahar Ben Jelloun et Walter Benjamin, pour ne citer que ceux-là. Sous l’influence de ses maîtres-à-penser, l’œuvre de Waberi s’est enrichie de légendes et de réalités du monde. L’écrivain s’est toutefois toujours gardé d’explorer le personnel et l’autobiographique, à la différence de ses deux derniers livres où il évoque avec pudeur et poésie les paysages et les drames de son enfance, convoquant les mânes de ses ancêtres, dont la spectaculaire et inoubliable grand-mère Cochise. « Elle était ma bouée et mon ange gardien », raconte l’auteur.
« Les deux livres forment un diptyque tout en étant indépendants au niveau narration, personnages, histoire, précise Waberi. Ce n’est pas une suite, c’est pas un tome deux, mais disons dans un même esprit littéraire. Alors que d’habitude j’interrogeais le grand dehors, le monde à partir d’une focale lointaine, cette fois-ci, puisque j’ai dépassé aujourd’hui la cinquantaine, je rapproche la focale et je me mets sur des terreaux, des terrains que je connais, à savoir ma sensibilité personnelle, voire des fragments de mon histoire. On parle de vies, d’amour filiale, de maladies, d’interrogations à partir de mon corps qui est parfois défaillant. »
Si le dialogue entre père-fille constitue le cœur de Dis-moi pour qui j’existe, ce récit de maladie et de souffrance ne se réduit pas à une liste de maux. L’ouvrage est réparti habilement entre entrées des journaux intimes et notes diverses composées de réflexions sur la société américaine contemporaine, l’histoire de la fondation de Washington où l’auteur vit depuis 10 ans, mais aussi sur la lecture qui lui a sauvé la vie quand la polio avait fracassé sa jambe à Djibouti, pendant son enfance. Des digressions qui cohabitent avec le thème central de combat contre la maladie et la mort, et que la plume sensible et bienveillante du romancier réunit dans un tout où la vie triomphe finalement en s’appuyant sur la mémoire et la poésie.
Dis-moi pour qui j’existe ?, par Abdourahman A. Waberi. Éditions JC Lattès, 272 pages, 20,90 euros.
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