Chemins d'écriture

Dans la ferme des animaux, version zimbabwéenne, avec NoViolet Bulawayo (2/2)

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Dans ce second volet de la chronique consacrée à la romancière NoViolet Bulawayo et à son nouveau roman Glory, publié en français par les éditions Autrement, il est question des lendemains qui déchantent au Zimbabwe et de leur représentation sous la plume inventive d’une romancière montante, bourrée de talents. Avec deux romans à son actif et une grande intelligence narrative, la Zimbabwéenne s’impose comme une nouvelle star dans le firmament des lettres africaines.   

NoViolet Bulawayo.
NoViolet Bulawayo. © NyeLynTho
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« Comme j’avais décidé de puiser mes protagonistes parmi les animaux de la ferme, mes possibilités étaient obligatoirement plus restreintes que si je les avais choisis parmi les animaux sauvages où il y a une plus grande diversité d’espèces. Il me fallait des animaux robustes pour qu’ils soient crédibles en tant qu’incarnations des personnalités puissantes comme Mugabe et son entourage. Le choix était limité. Je me suis servie des chevaux pour représenter les personnalités politiques et des chiens dont j’ai mis en avant le caractère féroce. Ils tiennent les rôles de ce que j’appelle les " défenseurs ". Ces derniers incarnent des personnages de policiers ou de militaires, proches du pouvoir. »  

La romancière zimbabwéenne NoViolet Bulawayo nous explique ainsi comment elle a procédé pour le choix du bestiaire qui peuple son nouveau roman. Ce roman, intitulé très simplement Glory, raconte l’histoire contemporaine du Zimbabwe, à partir de la destitution de son président longtemps inamovible Robert Mugabe en 2017 jusqu’à la mort de celui-ci deux ans après, en passant par l’installation d’un nouveau régime qui s’est révélé être aussi autoritaire et corrompu que le régime qu’il a remplacé.

Une fable animalière

Glory est un roman allégorique dont l’action est racontée à travers la grille de lecture d’un pays fictif, le Jidada, peuplé d’animaux. Prolongeant les propos introductifs de l’autrice, on pourrait ajouter qu’outre les chevaux et les chiens, on croise aussi dans ce roman des cochons, des vaches, des poulets, des paons. Et, last but not least, une chèvre nommée Destinée dont le retour au pays, au terme d’un long exil aux États-Unis, et ses retrouvailles avec sa mère hantée par l’histoire de la guerre anti-coloniale sanglante de son pays, constituent le cœur vibrant de ce roman.

Si cette fable animalière n’est pas sans rappeler La Ferme des animaux du Britannique George Orwell et sa satire du totalitarisme stalinien, la véritable source d’inspiration pour Glory a été, si l’on en croit l’auteure, les récits animaliers de sa grand-mère, qui ont peuplé son enfance. 

« Ma grand-mère a baigné dans la culture indigène africaine, dans laquelle hommes et animaux vivent en communion, reprend NoViolet Bulawayo. D’ailleurs, vous remarquerez que les patronymes africains renvoient à des totems animaliers. Comme nous portons les noms des animaux, nous aimons penser qu’humains et animaux font partie de la même famille élargie. Dans l’univers fantasmé de ma grand-mère, le monde humain et le monde animal entretiennent des liens féconds. C’est cette vision d’un monde relié que j’ai reçue en héritage. »

Fête d’indépendance au Jidada

Glory s’ouvre sur la célébration de la fête de l’indépendance au Jidada. Elle est racontée sur le mode de la farce, avec une écriture très visuelle. La cérémonie en question est présidée par la Vieille Carne, qui n’est autre que le dictateur quasi-centenaire, Robert Mugabe qui gouverne le pays depuis presque quatre décennies. La tribune officielle érigée sur la place Jidada est haut en couleurs, avec la présence sur l’estrade de généraux représentés par des chiens féroces, tiraillés entre leur mission de protéger le président et leurs velléités complotistes.

L’air est électrique, car les rivalités ont failli éclater au grand jour entre l’ambitieuse ânesse Merveilleuse, l’épouse de la Vieille Carne et le vice-président, lui aussi un vieux cheval mais doté d’une démarche d’hippopotame, précise l’autrice. Les deux sont candidats à la succession du président. La rivalité est si grande entre leurs deux camps que même l’irruption brutale sur l’estrade de douze Jidadiennes entièrement nues, réclamant le retour à la maison de leurs frères ou maris disparus, ne parvient pas à atténuer la tension…

L’action menée tambour battant

Divisée en une vingtaine de chapitres où l’action progresse tambour battant sur plus de 450 pages, Glory raconte aussi la destitution du président Mugabe, la liesse populaire qui laisse vite place aux lendemains qui déchantent, le retour d’exil de la chèvre nommée Destinée. Cette dernière est le personnage central du roman. C’est à travers ses yeux que les lecteurs mesurent le désespoir et la déception du petit peuple jidadien confronté à la faim, la corruption et aux promesses non tenues par les gouvernements successifs.

Paradoxalement, seul le personnage de Mugabe trouve grâce dans les yeux de la narratrice. « Mugabe s’est révélé nul comme leader politique, soutient NoViolet Bulawayo, mais les Zimbabwéens ont toujours un faible pour lui, sans doute à cause de son rôle dans la guerre de libération. »

Il y a en effet quelque chose du personnage du roi Lear dans la représentation de Mugabe dans les pages de Glory. Abandonné de tous, on le voit descendre incognito dans les rues de la capitale afin de constater de ses propres yeux la désaffection populaire à son égard. Les propos insultants qu’il entend, les pancartes l’appelant à partir en des termes peu amènes, le décident à donner sa lettre de démission aux militaires qui ont pris d’assaut son palais. « Ce fut en vérité sa toute première peine de cœur », écrit la romancière. Suivront deux autres, racontées sur le mode tragi-comique, mais jamais sans empathie.

Empreint d’une grande maturité narrative, Glory est un roman profondément humain. Son véritable sujet est la tragédie des hommes et des femmes, confrontés aux bégaiements de l’Histoire. Noviolet Bulawayo.

« Du fait de mon éducation, je suis proche des écrivains à sensibilité politique. Mais je suis aussi une citoyenne du monde, ce qui implique que je suis sensible à ce qui se passe autour de moi. Je m’y intéresse et j’y prends une part active. Mes pensées ne sont pas forgées uniquement par la littérature, mais souvent tout simplement par mes conversations avec les autres. Par exemple, mon roman " Glory est en grande partie né des bribes de dialogues saisies sur les médias sociaux. C’est le monde comme il va qui me sert de source dans laquelle je puise mes histoires. À chaque instant, j’ai le sentiment de participer à un ensemble vivant qui est beaucoup plus vaste que moi. Aussi, mes livres sont-ils composés d’idées, de sentiments, de vécus qui m’ont émue. »

Il serait en effet simplificateur de réduire les romans de NoViolet Bulawayo à leur charge politique et leur enracinement zimbabwéen. Les heurs et malheurs du peuple zimbabwéen qui sont au cœur de Glory sont représentatifs de la dégradation du politique à travers le monde, comme en témoigne l’irruption dans ces pages d’un Trump en babouin twittophage et au mouvement Black Lives Matter, en plein cœur d’un récit sur la chute et le déclin de l’empire mugabéen.

« La tyrannie n’est pas uniquement un phénomène zimbabwéen », rappelle Noviolet Bulawayo.

Glory, par NoViolet Bulawayo. Traduit de l’anglais par Claro. 449 pages, 23,90 euros.

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