Considérations sur le théâtre du Nigérian Wole Soyinka, avec Christiane Fioupou (2e partie)
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Dans Chemins d’écriture ce dimanche, la suite de l’entretien avec Christiane Fioupou, angliciste et spécialiste de l’œuvre théâtrale de Wole Soyinka. À l’occasion des 90 ans de l’écrivain, prix Nobel de littérature en 1986, la chronique littéraire évoque la carrière de dramaturge exceptionnel de Soyinka, la richesse de son œuvre dramatique située au carrefour du théâtre occidental et du théâtre traditionnel yorouba et sa réception. Professeure émérite à l’université de Toulouse, Christiane Fioupou a traduit en français plusieurs pièces de Soyinka, dont La route, une pièce difficile où se mêlent l’anglais, le pidgin English et le yorouba.

RFI : Wole Soyinka est l’auteur d’une vingtaine de pièces de théâtre. Sait- on comment est né son intérêt pour le théâtre ?
Christiane Fioupou : Soyinka s’est toujours intéressé au théâtre. D’ailleurs, c’est un genre très pratiqué chez les Yorouba, qui s’est beaucoup développé dans le théâtre itinérant yorouba dès la première moitié du XXème siècle. Fort de ces énormes troupes, ce théâtre itinérant se produisait en langue yorouba, un mélange d’opéra et de théâtre parlé, parfois mimé, avec beaucoup de chants et de danses. Par ailleurs, lorsque Soyinka est rentré d’Angleterre après avoir passé quelques années à Leeds et à Londres, il a obtenu une bourse pour faire des recherches sur les théâtres traditionnels au Nigeria. On peut dire qu’il a à la fois une expérience du théâtre traditionnel et une expérience plus livresque, mais aussi pratique des théâtres du monde, dont le théâtre de Wiliam Shakespeare ou le théâtre européen classique ou contemporain. Sa richesse vient de la diversité de ses intérêts pour les théâtres du monde dans lesquels il a puisé pendant toute sa carrière de dramaturge.
La danse de la forêt, Le lion et la perle, Les tribulations du frère Jéro, La mort et l’écuyer du roi, ce sont quelques-unes des pièces incontournables du corpus théâtral de Soyinka. Ces pièces, sont-elles toujours jouées au Nigeria ?
Les tribulations du frère Jéro sont beaucoup jouées au Nigeria. La mort et l’écuyer du roi, je l’ai vue aussi plusieurs fois au Nigeria, en yorouba et en anglais. Cette pièce est d’ailleurs très appréciée par les Shakespeariens pour la beauté de sa langue et ses qualités théâtrales. Pour moi, c’est une pièce absolument magnifique. Fous et spécialistes est une pièce très stylisée et rythmée : Soyinka l’a conçue en partie quand il était en prison pendant la guerre civile « du Biafra » – il a passé 27 mois en prison pour avoir essayé d’être l’intermédiaire entre les deux forces. La route est très peu jouée parce que c’est une pièce difficile à monter. Je l’ai vue à Londres, dans une mise en scène qui ne m’a absolument pas convaincue.
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Vous, vous avez traduit La route, mais le théâtre de Soyinka ne s’écrit pas dans un anglais standard. C’était difficile de traduire cette pièce ?
J’ai traduit La route avec Samuel Millogo, mon collègue et ami burkinabè, qui nous a quittés il y a quelques mois. Traduire cette pièce était un vrai défi. Et surtout, il y avait des problèmes pour traduire le pidgin English, langue véhiculaire « en voie de créolisation ». On a décidé de traduire le pidgin English par un parler populaire à l’époque utilisé en Côte d’Ivoire et que Samuel connaissait bien. Mais il y avait d’autres parlers, d’autres niveaux et registres de langues qu’il fallait essayer de restituer puisque, parfois dans la même phrase, voisinent quelques mots en yorouba, quelques mots en pidgin, puis quelques mots en anglais standard. Dans cette pièce, cohabitent des niveaux de langue différents, qui correspondent d’ailleurs à la cohabitation permanente des multiples langues qui sont parlées en Afrique de l’Ouest, par exemple, et au Nigeria où plus de 200 langues sont parlées.
Et vos vœux, Christiane Fioupou, pour les 90 ans de Monsieur Soyinka ?
J’étais au Nigeria pour fêter ses 80 ans, et avant pour ses 60 ans. Je sais que s’organisent autour de lui de grandes fêtes, mais je ne suis pas sûre qu’il aime ses anniversaires. Quand je l’ai vu à Montpellier en octobre dernier, il était dans une telle forme physique et intellectuelle que je n’ai même pas pensé à son âge. J’éviterais donc de lui dire « bon anniversaire » et trouverais autre chose à lui dire !
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