Considérations sur l'œuvre théâtrale de Wole Soyinka, avec la spécialiste Christiane Fioupou
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Immense écrivain, Prix Nobel de littérature 1986, Wole Soyinka a célébré ses 90 ans, ce 13 juillet. Pour marquer cet anniversaire, Chemins d’écriture donne la parole à Christiane Fioupou, principale spécialiste française de l’œuvre du Nigérian. Christiane Fioupou, qui a traduit aussi plusieurs pièces de l'auteur, évoque la dimension théâtrale de cette œuvre singulière, dont le grand public français ne connaît que le versant fictionnel. Entretien.

RFI : Christiane Fioupou, comment avez-vous découvert l’œuvre théâtrale de Wole Soyinka ?
Christiane Fioupou : J’ai découvert le théâtre de Soyinka quand j’étais en poste au département d’anglais à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso. On m’a demandé d’enseigner le théâtre, dont Shakespeare, Beckett, et je devais choisir une pièce de théâtre africaine. J’ai lu ou relu toutes les pièces de Soyinka jusqu’en 1981 et j’ai lu La Route, pièce que je n’ai pas comprise vraiment, mais qui m’a fascinée, que j’ai adorée. J’ai été déconcertée et j’ai voulu comprendre pourquoi j’aimais cette pièce. Je me suis lancée dans l’écriture d’une thèse d’État sur ce thème et j’ai décidé plus tard de traduire La Route.
Que raconte La route ?
La route(1) est considéré comme une pièce parfois obscure, difficile, incompréhensible. Son action se déroule au bord d’une route, avec une cabane où on vend des pièces détachées récupérées sur des véhicules accidentés. Donc, c’est quelque chose d’extrêmement concret, mais autour de cette réalité physique s’articulent des espaces métaphoriques, symboliques, mythiques, avec toujours l’omniprésence de la mort d’ailleurs, mais aussi l’omniprésence du dieu Ogun, le dieu de la route dans le panthéon yorouba, dieu des chauffeurs, dieu de la créativité, dieu du fer, de la technique et de la destruction. On pense aussi à la centralité du masque des ancêtres, du masque Egungun, renversé par un camion alors qu’il était en transe et qu'il incarnait le dieu Ogun. Donc, à la fois, il y a des aspects mythologiques…
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... et sans doute aussi une charge symbolique très forte ?
Pour moi, c’est une pièce qui porte sur le passage, sur la transition. On dit que le monde est un marché et la maison, c’est l’autre monde. Pour aller dans l’autre monde, autrement dit pour aller « à la maison », on est obligé de prendre la route. Et donc, on peut voir justement dans cette vision du monde yorouba, l’importance du monde comme un marché. L’autre monde, le monde des ancêtres, est la maison, et entre les deux, la vie qui serait cette route, est ce passage entre les deux. Pour moi, cette pièce est une mise en scène de l'espace intangible entre la vie et la mort, difficile à cerner, qui est rendue concrète à travers toute cette mise en scène, ces chants, ces danses que propose cette pièce absolument extraordinaire. Je pense à l’une des phrases de l’autre magnifique pièce La mort et l’écuyer du roi où celui qui doit aller rejoindre les ancêtres : « Je danserai sur ce chemin qui s’amenuise, chemin poli par les pieds de mes augustes précurseurs » et on voit le concret des pieds qui polissent cette route de la mort, cette route intangible, comment cela devient concret à travers la poésie et le langage de chacun, mais aussi le langage des masques, qui a un rôle très important dans la pièce, The Road.
RFI : Quelles sont les autres grandes pièces de Soyinka ?
Christiane Fioupou : une des pièces phares a tout de même été La danse de la forêt que Soyinka a jouée pour la fête de l'indépendance en 1960. Finalement, la pièce n’était pas voulue par les organisateurs, qui se sont rendu compte qu'elle ne vantait pas assez le passé de l'Afrique. C’est une pièce très dense, riche et, je pense, prophétique. Quand il a écrit cette pièce, Soyinka était déjà rentré au Nigeria, juste avant l’indépendance. Il s'était rendu compte que les choses n’étaient pas aussi faciles que ce qu’on pouvait espérer. Et, « depuis, je n’ai fait qu’écrire, dit-il, la danse macabre de la jungle politique qui est la nôtre ». Et « danse macabre » est en français.
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Pour la seconde partie de cet entretien sur le théâtre de Wole Soyinka, rendez-vous dimanche prochain, à la même heure, aux mêmes fréquences.
- La route, par Wole Soyinka. Traduit de l’anglais par Christiane Fioupou et Samuel Millogo, avec présentation de Wole Soyinka et préface de Christiane Fioupou. Hatier monde noir poche, 1988, 160 pages.

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