Des refrains pour l'Histoire, c'est notre nouvelle chronique musicale de l'été. Le principe : voyager dans les temps forts et bouleversements de l'histoire, à partir d'une chanson. Pour le premier épisode, direction la RDC, aux premières heures du pouvoir de Mobutu Sese Seko : la chanson s'appelle « 1967, Mbula Ya Sacrifice » (« 1967, L'année du sacrifice »).

Aujourd'hui, direction le Congo, du temps du général Mobutu avec le titre : « Mbula Ya Sacrifice ».
Nous sommes en 1967 à Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa). Mobutu a pris le pouvoir un an plus tôt, après un coup d’État. Pour asseoir son autorité, il multiplie les meetings. Ses discours nationalistes enflamment les foules, au point d’être repris dans cette chanson « Mbula Ya Sacrifice », un procédé très rare à l’époque.
Car, parmi ceux qui l’écoutent avec ferveur à l’époque, il y a un musicien, Jeannot Bombenga. Il a 30 ans et joue déjà dans l’orchestre du Grand Kallé, l’auteur d’« Indépendance Cha Cha ». « On aimait beaucoup sa façon de parler. Quand il prenait la parole, c’était une ambiance terrible, terrible. C’était du tonnerre ».
Du tonnerre, car Mobutu fait une promesse aux Congolais : leur offrir l’indépendance économique réelle. « Je m’en souviens. C’est alors qu’après, j'ai eu l’idée de composer cette chanson... ».
Sept ans après la décolonisation, les Belges contrôlent encore des secteurs entiers de l’économie. Le général Mobutu veut « reprendre le pain des Congolais de la bouche de l’ancien colon » comme il le dit lui-même, quitte à s’exposer à des représailles et devoir faire des sacrifices.
« Mieux vaut être pauvre dans la liberté que riche dans l’esclavage » dit la chanson de Jeannot Bombenga.
La formule vous rappelle quelque peu la Guinée de Sékou Touré quelques années plus tôt. Jeannot Bombenga commente : « Il parlait toujours comme ça. Mourons même de faim, mais gardons notre dignité. L’année 67, c’est une année de sacrifice. Les années à venir, nous aurons notre bonheur et notre indépendance totale dans notre pays... »
Nationalisation et représailles
En 1967, Mobutu prend une décision courageuse. Il nationalise l’Union Minière du Haut Katanga, la société belge qui contrôle encore les ressources minières du pays. Le symbole de l’ancien pouvoir colonial. Comme redouté, les représailles ne tardent pas. À l’été 1967, une rébellion éclate dans l’est du pays.
Des mercenaires appuyés par d’anciens colons tentent de réinstaller au pouvoir Moïse Tshombe, ancien Premier ministre déchu, resté favorable à leurs intérêts. Mais Mobutu dénonce une agression impérialiste et chasse les mercenaires.
Et parce que le Léopard connait très bien le pouvoir de la musique, il impose la chanson de Jeannot Bombenga comme générique du journal parlé. Le musicien est choyé. Celui-ci témoigne : « Il était très très très content. Il m’avait même invité dans sa maison pour manger. On a bavardé, et puis il m’a donné un peu de fric pour faire quelque chose de bien, de consistant et c’est ce qui m’a permis d’acheter ma maison actuelle. Et il m’aimait beaucoup. Partout où il voyageait, il m’emmenait avec lui pour donner cette chanson. En Afrique, à Bangui, au Tchad … »
Avec le recul, que faut-il penser de la promesse de Mobutu ? Le Léopard aura-t-il servi autant qu’il s’est servi ? Trente ans plus tard, il sera finalement chassé, sur fond d’inflation et de scandales autour de sa fortune.
Jeannot Bombenga, lui, est toujours là. À 90 ans, il continue de jouer chaque samedi dans son quartier de Kinshasa et de chanter cette chanson : « Ma réputation était très bonne dans le quartier grâce à cette chanson, alors elle me tient à cœur… »
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