«FEM» de Davido, quand la pop fait taire le pouvoir
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Octobre 2020, Lagos. En pleine révolte contre les violences policières, un DJ lance FEM de Davido : la foule s’en empare et fait taire le gouverneur. Le hit, qui était au départ une chanson de clash, dans la guerre d’ego que se livre Davido et Burna Boy, devient, malgré lui, un hymne du mouvement #EndSARS. Davido, star de l’afrobeat, rejoint la rue, interpelle la police, et demande justice pour les victimes. Une chanson légère, détournée par la rue, devient un cri politique, sans jamais avoir été pensée comme telle.

La star de l'afrobeats Davido était plutôt connu pour enflammer les nuits nigérianes, sa grande villa et ses nombreuses voitures de luxe. Mais avec sa chanson « FEM », sortie dans l'album A better time, il est devenu sans le vouloir le porte-voix d’une jeunesse révoltée contre les violences policières. Nous sommes en 2020, dans les rues de Lagos. La jeunesse nigériane se soulève contre SARS, une unité de police tristement célèbre pour ses brutalités, extorsions et tortures. Le mouvement est massif, jamais vu depuis des décennies dans les rues de Lagos. Un jour d'octobre, alors les manifestants lèvent le poing devant le bureau du gouverneur qui tente de les contenir péniblement. C’est alors qu’un DJ, dans la foule, a une idée : jouer « FEM », le tube de Davido, sorti deux semaines plus tôt.
Car FEM en pidgin nigérian signifie « tais-toi » ou « ferme là », même. La foule s’en empare, scande son refrain. Le gouverneur est réduit au silence. Le mouvement #EndSARS vient de trouver sa bande-son, de manière inattendue, se souvient Oris Aigbokhaevbolo, un journaliste spécialisé en pop culture : « Ce n’était pas du tout une chanson engagée au départ. C’était un morceau que Davido avait écrit pour s’en prendre à une autre star, Burna Boy, son rival. C’est lui qui est visé dans les paroles et c’est cela qui a fait connaitre la chanson. Au moment où les manifestations ont commencé, c’était déjà un tube et le mouvement s’en est emparé. Mais les paroles, en elles-mêmes, n’ont rien à voir avec la politique. »
Et pourtant, la vidéo avec le gouverneur fait le tour de la toile. Avec son rythme puissant et ce refrain scandé, simple et explicite, la chanson constitue un vecteur d’énergie, un cri de ralliement. Comme un défi sonore, lancé au pouvoir. « Vous avez écouté la chanson ? Il y a quelque chose de galvanisant dans ce morceau. Un rythme entraînant. Je pense que c’est cela qui a séduit les jeunes, ce côté énergique, presque aggressif. Comme un exutoire, dont on peut s’emparer dans différents contextes », estime Oris Aigbokhaevbolo.
C’est depuis sa confortable villa que la star Davido découvre la vidéo. Il n’en revient pas. Le fils du magnat du pétrole, perçu comme assez loin des réalités de ses fans, décide de se joindre au mouvement. Dans la foulée, la police l’invite pour un échange, devant les caméras de télévision. « L’émotion est vraiment très forte dans les rues. Quand je suis sorti pour manifester, au début, les jeunes s’en même pris à moi. J’ai dû leur demander de se calmer. Le problème, au Nigeria, dépasse largement l'unité de la police SARS. Cela va bien au-delà. Moi, je suis à l’abri, mais les gens souffrent », témoigne la vedette nigériane, à l'époque.
Certains grincent des dents au sujet de cette rencontre. Ils craignent que la police n’instrumentalise la star pour calmer les esprits à peu de frais. Mais face à l’inspecteur, Davido se fait porte-parole des manifestants : « Premièrement : la libération immédiate de tous les manifestants arrêtés. Ensuite, et c’est le point le plus important : la justice pour toutes les victimes décédées de violences policières, et des compensations pour leurs familles. C’est vraiment essentiel. Une vie perdue, on ne peut pas la remplacer. » L’appel n’a été que partiellement entendu. Le 20 octobre, peu avant 19h, l’armée tire à balles réelles sur des manifestants réunis devant un péage à Lagos. Au moins 12 d’entre eux sont tués sur le coup : c’est le massacre de Lekki. Davido dira avoir pleuré devant les images de la répression.
Au Nigeria, lutter en musique ne date pas d’aujourd’hui. Même si tout le monde ne peut pas être Fela Kuti, nombreux sont ceux, à travers tout le Nigeria et au-delà, qui se réclament de lui. « On a une longue tradition de musique à la fois engagée politiquement et très rythmée. Surtout grâce à Fela. On sent que certains artistes s’en inspirent, des sons, des rythmes de Fela. Mais il n’y en a pas beaucoup qui reprennent le côté militant de sa musique. La pop d’aujourd’hui, cela parle surtout de danse, de fête, de plaisir, pas vraiment de politique » regrette le journaliste Oris Aigbokhaevbolo. Mais « FEM » a montré qu’une musique n’a pas besoin d’être militante pour être politique — il suffit qu’elle tombe au bon moment, avec la bonne énergie.
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