Des refrains pour l'Histoire

«Autorail», l'hommage d'Orchestra Baobab à l'épopée du chemin de fer sénégalais

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Des refrains pour l'Histoire, la nouvelle chronique musicale de l'été sur RFI. Le principe : raconter les temps forts et les bouleversements de l'histoire du continent africain, à partir des chansons qui les ont accompagnés. Ce samedi, le troisième numéro est consacré à « Autorail », l'hommage d'Orchestra Baobab à l'épopée du chemin de fer sénégalais. Une chronique signée Florence Morice, avec une réalisation de Jérémie Boucher.

L’Orchestra Baobab à Manhattan, New York, le 25 juin 2008.
L’Orchestra Baobab à Manhattan, New York, le 25 juin 2008. wikipedia/(CC)/Tommy Lorne Miles
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Impossible d’évoquer l’histoire sociale du Sénégal sans entendre, quelque part, un lointain sifflement de train. Et pour cause : la ligne mythique Dakar-Niger – aujourd’hui Dakar-Bamako – a longtemps été le cœur battant de la nation. À travers la chanson « Autorail » d'Orchestra Baobab, hommage vibrant au chemin de fer sénégalais, c’est toute une époque qui refait surface – celle de la marche vers l’indépendance.

Thiès, carrefour du rail et de la musique

Faisons escale à Thiès, ville-étape essentielle de la ligne. Nous sommes en 1981, lors d’un concert mémorable de l’Orchestra Baobab. Ce soir-là, alors que résonne encore au loin l’écho du dernier train, le chanteur Medoune Diallo improvise un morceau devenu culte. « Ils se sont inspirés de la musique afro-cubaine, et puis, avec le saxophone, mon frère Issa a imité le klaxon du train, se souvient Thierno Kouyaté, héritier du groupe. C’est ça qu’ils ont mis dans le morceau. »

Dans « Autorail », le saxophone reproduit le sifflet du train, tandis que la batterie imite le roulement des wagons. Une idée originale, mais qui prend tout son sens à Thiès, véritable nœud ferroviaire du pays. C’est ici que bifurque l’autorail venu de Dakar, vers Saint-Louis d’un côté, Bamako de l’autre. « Thiès, c’était vraiment le grand garage de la régie des chemins de fer du Sénégal, rappelle Thierno Kouyaté. On disait même chez les Wolofs : "Ben de Kenyariga" – une ville, deux gares. »

La fierté des cheminots et la grande grève de 1947

Le train, à Thiès, rythme la vie économique et sociale. Être cheminot, c’est une fierté locale, d’autant que de cette ville va partir un épisode majeur de l’histoire ouvrière africaine : la grande grève de 1947. Le 10 octobre de cette année-là, à minuit, 20 000 cheminots cessent le travail dans toute l’Afrique occidentale française, paralysant le réseau de Dakar à Abidjan. Leur revendication : l’égalité de traitement entre travailleurs africains et européens – « À travail égal, salaire égal. »

En première ligne, les cheminots du Dakar-Bamako, dont la détermination sera immortalisée dans le roman d’Ousmane Sembène, Les Bouts de bois de Dieu. « On nous vole, il n'y a plus de différence entre les bêtes et nous tant nos salaires sont bas », écrit-il. Le mouvement dure cinq mois et dix jours, un record. En 1948, ils obtiennent gain de cause. Ce chemin de fer, construit à l’origine pour exporter les matières premières africaines vers l’Europe coloniale, devient alors un outil de lutte pour la souveraineté et l’égalité. Un retournement de l’histoire dont le Sénégal peut être fier.

Un rêve à l’arrêt, mais toujours vivant dans les mémoires

Aujourd’hui, la ligne Dakar-Bamako est à l’arrêt depuis 2018, victime de délabrement. Les promesses de relance se succèdent, portées aussi par le rêve d’une union renouvelée entre le Sénégal et le Mali. « On est parents entre Sénégalais et Maliens, rappelle Thierno Kouyaté. Moi, j’ai un côté malien : mes grands-parents viennent de là-bas... Tout ça, c’est important. »

Le train, au-delà du transport, a longtemps incarné la vitalité de la région, la circulation des biens, des cultures et des souvenirs d’enfance. « Moi, à Rufisque, le train passait devant chez nous, se souvient Thierno Kouyaté. On calculait même l’heure grâce au train. Quand ça s’est arrêté, ça a fait tomber l’économie... Il serait vraiment bien de reprendre le chemin de fer. »

Le chemin de fer revivra-t-il ? L’avenir le dira. Mais dans les mémoires, le train Dakar-Bamako circule encore, chargé de musiques, de luttes et d’espoirs partagés.

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