Des refrains pour l'Histoire

Nigeria: «Zombie», la fronde de Fela Kuti contre Obasanjo

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Des refrains pour l'Histoire, c'est notre nouvelle chronique musicale de l'été. Le principe : voyager dans les temps forts et bouleversements de l'histoire, à partir des chansons qui les ont accompagnés. Ce samedi, pour le deuxième numéro de cette série : « Zombie », la fronde de Fela Kuti contre Olusegun Obasanjo. Réalisé par Jérémie Boucher.

Fela Kuti en 1983.
Fela Kuti en 1983. © Redferns - David Corio
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Un mélange de funk, de chant et de percussions, on vous emmène à Lagos cette semaine en compagnie du roi de l’afrobeat, Fela Anikulapo Kuti avec sa chanson Zombie, un véritable brûlot antimilitariste. « Mettez-vous bien ça dans la tête. Ma musique, c’est pour la révolution, pas pour s’amuser. Et comme tous mes autres frères et sœurs noirs, je ne ferai aucune concession ». Fela avait prévenu. Jamais il ne renoncerait à porter la parole des plus démunis et à dénoncer l’incurie des puissants. Personne ne serait à l’abri de sa critique. Et s’il est une chanson qui le prouve, c’est bien Zombie : « Le zombie n’avance que si on lui dit d’avancer, ne s’arrête que si on lui dit de stopper, ne pense que si on lui dit de penser… ». Il n’y va pas de main morte car ces zombies sont en fait, pour lui, les soldats du régime militaire du président Obasanjo. Il les compare à des morts-vivants, qui obéissent aux ordres aveuglément.  

Et à Lagos, personne n’est dupe, se souvient Femi Kuti, le fils de Fela, adolescent à l’époque. « Tout le monde savait qu'il s'adressait aux militaires. Il ne s’en cachait pas. En gros, il disait : "les militaires ne réfléchissent pas. On leur dit d’aller tuer, ils vont tuer. D'aller mourir, ils vont mourir… "  Wow ! c’était une sacrée époque. Aujourd’hui, j’en rigole parce que beaucoup de temps a passé. Mais à l’époque, personne ne rigolait, je vous assure. Tout le monde était mort de peur. On savait que les problèmes allaient arriver ». Il faut l’imaginer cette époque, janvier 1977, à Lagos. La capitale du Nigeria accueille le Festac, le deuxième Festival mondial des arts nègres. Le président Obasanjo en est très fier. Il compte sur la participation de Fela Kuti dont l’aura dépasse déjà largement les frontières.  

Mais le musicien boycotte le festival. Il accuse le président de s'en servir pour polir son image. Et pour parfaire l’affront, il organise un festival parallèle, une série de concerts gratuits dans son fief, son autoproclamée République de Kalakuta.  Fela Kuti ne se contente pas de chanter la révolte, il la vit. Il a bâti un sanctuaire en plein cœur de la capitale. C'est le foyer d’une contestation radicale. On y chante, on y danse, on y vit, on y invente un autre monde. Et en ce mois de février 1977, dans la moiteur de Lagos, on s’y presse du monde entier. Musiciens et journalistes invités pour le Festac passent leur nuit chez Fela Kuti qui se fait appeler « The Black president », le président noir et devant eux, il entonne son titre frondeur. Il ridiculise le régime.  

L’attaque de la République de Kalakuta 

Pour le président Obasanjo, c’est la provocation de trop. Trois jours plus tard, le 18 février 1977, prenant le prétexte d’une altercation dans le quartier, un millier de soldats armés jusqu’aux dents prennent d’assaut la République de Kalakuta. Ils brûlent, violent, pillent... La violence est inouïe. Femi témoigne : « Quand je suis arrivé sur place avec ma mère, il y avait des soldats partout. Ils avaient éteint toutes les lumières. On aurait dit une zone de guerre. Ma mère me répétait : "cache-toi, cache-toi". Et elle criait : "Ils l’ont tué, ils l’ont tué". Plus tard, on a retrouvé ma grand-mère. Elle était grièvement blessée et elle nous a dit que mon père avait été conduit à l’hôpital militaire ». La mère, Funmilayo Ransome-Kuti est aussi une pionnière, une figure de la lutte contre le colon britannique. Ce jour-là, pendant l’assaut, elle tombe d’une fenêtre. Elle mourra quelques mois plus tard... Femi poursuit : « Sa mère est morte, sa maison a brûlé. Il a tout perdu. Ce jour-là, il a tout perdu. Je ne crois pas qu’il s'en soit remis un jour ». 

Aujourd’hui, Olusegun Obasanjo reste dans les mémoires comme le premier militaire en Afrique à avoir cédé de son plein gré le pouvoir aux civils. Mais face à Fela, c’est bien son visage autoritaire et répressif qu’il a dévoilé. Femi ajoute : « C’était une épine dans leur pied. Il dénonçait la corruption, les méthodes honteuses du gouvernement. Et les dirigeants ne voulaient pas que le peuple soit au courant. Personne ne faisait ça, à l’époque, au Nigeria. C’était un musicien, mais personne n’avait jamais vu une telle popularité au Nigeria. Je pense que ça a suscité de la jalousie. Du côté du gouvernement. Et de la haine aussi. Ils se disaient : "Qui est ce gars ? Il a le culot de dire tout ça ?". Donc, il fallait l’arrêter. « Zombie », ça leur a donné le prétexte pour mettre leur plan à exécution ». De fait, c’est un coup dur pour le chanteur. Il s’exile un temps au Ghana avec sa famille et ses musiciens. Mais comme promis, il ne renonce pas.  

Fin 1979, le jour même où les militaires doivent rendre le pouvoir aux civils, Fela dépose une réplique du cercueil de sa mère devant les grilles de Dodan Barracks, le quartier général de l’armée et siège du pouvoir. Cela donne d’ailleurs lieu à une chanson, mais ça, c’est une autre histoire. Quant à ce titre-là,  Zombie, cela devient un hymne de résistance face à l’oppression, un appel à la liberté de penser.

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