Des refrains pour l'Histoire

«Soweto Blues» de Miriam Makeba: une voix contre l'apartheid

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Le 16 juin 1976, des milliers d’élèves noirs défilent à Soweto contre l’imposition de la langue afrikaans. La police ouvre le feu : des centaines d’enfants sont tués, le pays bascule. Cet événement, connu sous le nom de « Soulèvement de Soweto », reste un tournant dans l’histoire de la lutte anti-apartheid. En exil à Conakry, Miriam Makeba rencontre Tsietsi Mashinini, jeune leader du soulèvement. De cette rencontre naît Soweto Blues, une chanson pour dire l’horreur et réveiller les consciences. Écrite par Hugh Masekela et interprétée par Miriam Makeba, elle rend hommage aux victimes de ce soulèvement.

La chanteuse Miriam Makeba, le 4 août 1990, en concert à Delft, aux Pays-Bas.
La chanteuse Miriam Makeba, le 4 août 1990, en concert à Delft, aux Pays-Bas. © Redferns - Frans Schellekens
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Miriam Makeba, icône de la lutte anti-apartheid, a toujours affirmé qu'elle ne chantait pas la politique, mais la vérité. « Il y a beaucoup de gens qui me critiquent en disant que je chante la politique. Je leur dis toujours que je ne chante pas la politique. Je ne chante que la vérité. Parce que quand je dis qu’en Afrique du Sud, on est opprimés, nous souffrons. Cela, je ne peux pas m’en empêcher. »

Cette déclaration résume parfaitement son engagement et son courage. Chanter toutes les vérités et faire connaître au monde la souffrance de son peuple, c'était le credo de Miriam Makeba, la Sud-Africaine, égérie de la lutte anti-apartheid. Et c'est ce qu'elle fait dans cette chanson « Soweto Blues », une réponse musicale à la répression du soulèvement de Soweto en 1976.

Le soulèvement de Soweto : un cri de révélation

Le 16 juin 1976, des milliers de collégiens et lycéens de Soweto, un immense ghetto noir de Johannesburg, se sont rassemblés pour protester pacifiquement contre l'imposition de l'afrikaans, la langue de l'oppresseur blanc, dans les écoles. Leur message, peint sur de petits bouts de carton, était clair : « Au diable l'afrikaans ». La répression a été brutale. Des pierres ont volé, des armes ont été sorties, et le bilan officiel a fait état de 21 morts, bien que le nombre réel de victimes soit bien plus élevé.

Tsietsi Mashinini, l'un des leaders du mouvement de la conscience noire, témoigne de la violence de cette journée : « Il y a des gens qui marchaient, d'autres qui couraient. Et là, j'ai vu une enfant innocemment lever son poing pour faire le signe du Black Power et le scander. Ils ont ouvert le feu sur cette petite de huit ans sur le champ. »

Dans « Soweto Blues », Miriam Makeba rend hommage à ces jeunes martyrs. Les paroles de la chanson racontent l'histoire d'enfants qui refusent de suivre les instructions de leur maître et le paient de leur vie.

The children got a letter from the master (Les enfants ont reçu une lettre du maître)

It said: no more Xhosa, Sotho, no more Zulu (Ça disait : plus de xhosa, de sotho, plus de zoulou)

Refusing to comply they sent an answer (Refusant de se conformer, ils ont envoyé une réponse)

That’s when the policemen came to the rescue (C'est alors que les policiers sont venus à la rescousse)

L'exil et l'inspiration

Miriam Makeba vivait en exil à Conakry en 1976, bannie de son pays pour avoir dénoncé l'apartheid à la Tribune des Nations unies. Elle a été accueillie par le président Sékou Touré, dont elle soutenait la révolution socialiste. Fin 1976, elle a accueilli chez elle Tsietsi Mashinini, le leader du soulèvement de Soweto, qui avait fui son pays. Cette rencontre a été l'étincelle qui a inspiré la chanson « Soweto Blues ».

Ntone Edjabe, auteur et musicien, explique : « Tsietsi Mashinini part en exil, invité par le gouvernement nigérian. Il s’installe donc au Nigéria et ensuite en Guinée où il vient vivre avec Miriam Makeba. Donc Miriam a un contact le plus immédiat avec les événements, leur impact et leur histoire à travers la présence de Tsietsi Mashinini. »

Benikuphi ma madoda (où étaient les parents ?)

Abantwana beshaywa (quand les enfants lançaient des pierres)

Ngezimbokodo Mabedubula abantwana (quand on a tiré sur les enfants)

Demande Miriam Makéba en langue zoulou. Une question insistante, un cri qui traverse la chanson selon Ntone Edjabe : « Ce n’est pas juste une question du rôle de parent dans le sens classique. C'est vraiment un questionnement de la génération précédente. Parce que l'émergence du Mouvement de la conscience noire vient remplir une sorte de vide, de leadership, de conscience, d'idéologie, d'action de la génération précédente qui avait été un peu affaiblie avec l'exil et l'emprisonnement. Donc cette phrase pose la question, littéralement, mais aussi métaphoriquement, aux aînés de ces jeunes qui sont allés dans les rues de Soweto. »

L'impact mondial et le retour au pays

La répression du soulèvement de Soweto a bouleversé l'opinion mondiale et a entraîné les premières sanctions internationales contre le régime d'apartheid. Il a fallu quinze années supplémentaires pour que Nelson Mandela soit libéré de prison.

Une fois libéré, Madiba, que Miriam Makeba appelait « notre père », a insisté pour qu'elle rentre en Afrique du Sud. Après 31 ans d'exil, elle s'est confiée à RFI : « J'irai chanter à Soweto, ça c'est clair. Quand le moment viendra, bien sûr. Tant que le bon Dieu me donne longue vie. Je chanterai à Soweto. »

Miriam Makeba reste une figure emblématique de la lutte pour la liberté et la justice, dont la voix continue de résonner à travers les générations.

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