Martin Fayulu: l'Union sacrée, «ce n’est pas de la politique, ce sont des stratagèmes pour se maintenir au pouvoir»
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Notre invité Afrique est l'ancien candidat à la présidentielle de la République démocratique du Congo, Martin Fayulu. Il y a deux ans, il était donné comme le président élu. Deux ans après l'arrivée de Félix Tshisekedi à la magistrature suprême, il fait face à l'Union sacrée prônée par son rival forte de 391 députés. Comment compte-t-il se positionner ? L'actuel coordonateur de la coalition Lamuka répond aux questions de Sonia Rolley.

Pourquoi estimez-vous que l’Union sacrée est une « deuxième grossesse » du président Tshisekedi et de son prédécesseur Joseph Kabila ?
Martin Fayulu : Parce que ce que nous voyons, les mêmes personnes qui sont là, ce sont les personnes membres du FCC et membres du Cach. Maintenant, comme eux-mêmes l’ont dit que c’est une « coalition gouvernementale élargie ». Élargie à qui ? À certains transfuges de Lamuka et autres.
Cela veut dire que concrètement, vous pensez que cette coalition-là n’est pas capable de changer de politique ?
Ce n’est pas de la politique ici, ce sont des stratagèmes pour se maintenir au pouvoir. A un moment donné, ils vont se dire que, non, on n’a pas eu le temps de faire des réformes, on n’a pas eu le temps de gérer, il faut postposer les élections. Ils vont avoir aussi des velléités de changer la Constitution et tout cela, c’est dans l’ADN de Kabila qui veut conserver le pouvoir à tout moment.
Quel peut être l’intérêt de Joseph Kabila de montrer qu’il perd la primature, la présidence de l’Assemblée nationale ou une partie du bureau de l’Assemblée nationale ou même le Sénat ? Aux yeux des Congolais, les gens pensent qu’il n’a plus de pouvoir politique, plus le même ?
Mais [Joseph] Kabila a déjà perdu. Kabila a perdu le 30 décembre 2018. N’eût été la trahison de [Félix] Tshisekedi, Kabila aujourd’hui, il serait mis totalement de côté. Mais Kabila résiste et ils voient - Kabila et Tshisekedi - qu’ils sont presque à mi-mandat et que les élections vont arriver bientôt. Mais il faut présenter un bilan au peuple congolais. Quel est le bilan qu’ils vont présenter ? Donc, il faut simuler une crise, une crise grave. Il faut faire en sorte que Kabila qui est honni par le peuple congolais soit, comment dire, maltraité pour s’acheter une légitimité.
S’il y en a un qui doit profiter, en 2023, d’avoir repris les institutions à Joseph Kabila, ce sera Félix Tshisekedi et pas Joseph Kabila ?
C’est Félix qui achète la légitimité, ce n’est pas Kabila. Félix veut acheter une légitimité en maltraitant Kabila avec l’assentiment, avec l’acceptation de Kabila.
Qu’est-ce qu’il y gagne Joseph Kabila dans l’histoire ?
Il gagne sa survie. En tant qu’homme, il vit avec ses biens matériels, ses finances, ses richesses, lui et sa famille, parce que Kabila était déjà parti. Là, il est en train de faire des heures supplémentaires que Tshisekedi lui a données. Ce qui est grave ici, c’est que la misère bat son plein. Le Congolais ne sait à quel saint se vouer. Les enfants ne vont pas à l’école. Le projet des 100 jours, plus de 400 millions de dollars, est-ce qu’on a fait la comptabilité de ces projets ? On a mis certaines personnes en prison, mais presque toutes sont sorties. Aujourd’hui, le train de vie de monsieur Félix Tshisekedi et de ses amis, tous partent en Occident, en Europe ou en Afrique en jet privé, tous, pendant que le peuple est en train de mourir.
Félix Tshisekedi disait qu’il n’arrivait pas à faire ce changement-là à cause de l’influence de Joseph Kabila ?
Je vais emprunter la réponse des jeunes gens de la Lucha : combien de lois qu’on a voulu faire passer à l’Assemblée nationale ont été recalées à cause de l’influence de Kabila ? À combien de Conseils de ministres, les gens sont sortis en disant qu’on ne s’est pas mis d’accord parce que les gens de Kabila n’ont pas été d’accord, on m’a recalé ? Non, je pense et je continue à dire que c’est une posture. Il n’y a rien.
Là, ce que Cach et le FCC avançaient, c’était l’idée d’une transition pacifique du pouvoir. Vous ne pensez pas que Joseph Kabila, s’il avait perdu entièrement le pouvoir d’un seul coup, il aurait peut-être utilisé d’autres moyens pour se maintenir ?
Mais quels moyens ? Pourquoi ils ne les utilisent pas aujourd’hui ? Aujourd’hui, vous avez l’impression qu’il est acculé, qu’il est maltraité par Tshisekedi. Et pourquoi il n’utilise pas ses moyens aujourd’hui qu’il aurait pu utiliser hier ?
Certains de vos camarades, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, ont décidé de rejoindre l’Union sacrée…
Non, ils sont partis parce qu’ils ont été influencés, je peux vous le dire, ils ont été influencés par l’ambassadeur des Etats-Unis. Le 10 octobre, on signe un acte pour renouveler l’accord Lamuka, la charte Lamuka a été renouvelée le 10. Et le 13 octobre, on fait la passation de pouvoirs entre les coordonnateurs sortants et moi, coordonnateur entrant. Sans problème. On fait un communiqué et deux semaines plus tard, même pas deux semaines, les gens quittent la coalition. Qu’est-ce qui s’est passé dans l’entre-temps ? Je n’ai jamais rien compris.
Il y avait quand même des tensions avec Moïse Katumbi. Il y avait toujours des tensions, sans compter que lui voulait une opposition républicaine, il voulait reconnaître les institutions et rentrer dans l'opposition et que vous, vous ne reconnaissiez pas les institutions ?
Ça, ce ne sont pas des tensions. C’est une prise de position. Et vous pouvez discuter, mais l’essentiel, c’est les compromis qui sont après.
Du coup, quelle position pouvez-vous prendre maintenant, parce que vous vous trouvez en fait régulièrement à avoir les mêmes positions que le FCC de Joseph Kabila, notamment sur tout ce qui est violation de Constitution et autres, dans la critique - on va dire - de Félix Tshisekedi ? Comment arriver à vous positionner, vous, dans ce jeu politique que vous décrivez ?
C’est extrêmement grave comme incompréhension des choses. Vous allez me dire maintenant que c’est moi qui épouse le langage du FCC ou c’est le FCC qui épouse mon langage par stratégie pour que les gens puissent dire: ah, voilà, il parle le même langage que ceux qui sont avec Kabila.
Donc, c’est pour tuer le jeu politique…
C’est pour tuer Lamuka, pour tuer Fayulu et Lamuka. D’abord, il faut retirer certains de ses amis et puis, après dire que le FCC et Lamuka ont le même langage. Non. Et je continue à le dire, les jumeaux sont là. FCC-Cach, coalition gouvernementale élargie, plus FCC Kabila-opposition.
Quel va être votre stratégie pour arriver à de meilleures élections en 2023 ?
Je l’ai dit dès le premier jour, il n’y a que les réformes pour qu’on puisse avoir des élections crédibles et transparentes, et avoir des dirigeants légitimes. Il n’y a pas 36 solutions.
Il faudra bien des discussions pour cela, pour qu’il y ait un consensus autour des dispositions ou du jeu électoral ?
Bien sûr. C’est cela la proposition de sortie de crise. J’ai bien dit à nos pères spirituels de prendre leurs responsabilités et de faire en sorte que toutes les parties prenantes puissent se mettre ensemble. Que devons-nous changer dans la loi électorale ? La Commission électorale nationale indépendante, j’insiste indépendante, comment elle doit être réellement indépendante, comment les découpler avec la composition des forces politiques à l’Assemblée nationale, parce que ces forces politiques sont illégitimes et ce n’est pas une vraie composition. Vous comprenez que Kabila et Tshisekedi, ce n’est pas toujours ça, parce qu’ils vont avoir une Céni à eux, une Cour constitutionnelle à eux. Est-ce que vous pouvez accepter qu’on puisse aller aux élections prochaines avec cette Cour constitutionnelle illégitime, illégale ?
Ils revendiquent 391 députés. Pourquoi pensez-vous qu’ils vont venir discuter avec vous ?
391 députés, ce n’est pas les 90 millions de Congolais. Ce n’est pas les plus de 62% qui ont élu Fayulu, ce n’est pas la légitimité. Mais ils savent qu’ils ont été achetés. Ils savent qu’ils ont été, je peux dire le mot, cooptés. On les a cooptés parce qu’on les a fabriqués. Est-ce que la communauté internationale – c’est ça la question - n’a pas de problème de conscience aujourd’hui quand elle discute avec les députés de cette Assemblée ? Est-ce que la communauté internationale n’a pas de remords aujourd’hui de voir que la majorité changée, c’est une majorité achetée ? Et déjà, à l’origine, ces députés n’étaient pas élus. Est-ce qu’il n’y a pas un problème de conscience ?
Qu’attendez-vous, du coup, de la communauté internationale ?
La communauté internationale, quand le docteur [Denis] Mukwege parle de l’exhumation du rapport Mapping, du Tribunal pénal international sur la RDC, il faut mettre tous ces instruments en place pour que les gens se disent que, demain si nous faisons ça, nous serons condamnés. Il nous faut rouvrir le procès de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, il faut ouvrir le procès Rossy Tshimanga, il faut ouvrir le procès Thérèse Kapangala pour que les gens sachent qu’on ne peut pas blaguer avec les droits humains. La vie d’un individu, c’est sacré.
Vous attendez de la communauté internationale qu’elle fasse pression sur ces questions d’impunité et d’ouverture d’espaces démocratiques ?
Les gens ne s’expriment pas librement. Les gens ne manifestent pas librement. Les jeunes gens de la Lucha, pas plus tard que vendredi dernier, ont été tabassés à Kananga. Une semaine avant eux, c’était les jeunes gens de l’Ecide [Engagement citoyen pour le développement, parti Fayulu] qui ont été tabassés à Kananga. Ils ont des revendications. Il faut les laisser. Le jeune [Delcat] Idinco à Béni qui a chanté « Politiciens escrocs », mais c’est le constat qu’il fait. Est-ce que les politiciens ne sont pas des escrocs ?
Est-ce que vous serez candidat en 2023 s’il y a des élections ?
Mais, il faudra poser la question au peuple congolais. C’est le peuple congolais qui décide. Et si le peuple congolais me dit oui, pourquoi je dirais non ?
Est-ce que vous mettrez des conditions à cette participation ? Est-ce qu’il y a un cadre quand même ?
Mais les conditions sont là. Nous avons parlé des réformes institutionnelles consensuelles et qu’elles soient menées par toutes les parties prenantes en dehors des institutions illégitimes.
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