Traoré Bakary: «La guerre civile en Sierra Leone est la fille de la guerre civile libérienne»
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Il y a trente ans jour pour jour démarrait l'une des guerres civiles les plus violentes de l'histoire d'Afrique de l'Ouest, la guerre civile sierra-léonaise. Les rebelles du Front révolutionnaire uni multiplient, au cours de ce conflit, les exactions contre les populations civiles. Toute cette journée, RFI évoque cette guerre terrible et de la façon dont les populations sierra-léonaises se reconstruisent depuis et rebâtissent leur pays. Mais comment tout cela a-t-il démarré ? L’historien Traoré Bakary est enseignant-chercheur à l'université Félix-Houphouët-Boigny à Abidjan, spécialiste des conflits africains. Il est l’invité de Laurent Correau.

RFI : Replantons peut-être brièvement le décor pour bien comprendre ce qui se passe à partir de 1991 en Sierra Leone. Qui se bat dans cette guerre et pourquoi ?
Traoré Bakary : En 1989, il y a une guerre civile qui éclate au Liberia. Cette guerre est animée par Charles Taylor et les troupes ouest-africaines interviennent pour mettre fin à la guerre. Il se trouve que ces troupes-là, c’est-à-dire l’Ecomog [Economic community of West African states cease-fire monitoring group] ont une base aérienne qui est à Freetown. Et la pression de l’Ecomog étant forte, Charles Taylor va susciter la mise en place du RUF, Front révolutionnaire uni, pour diminuer la pression militaire de l’Ecomog sur ses troupes. Il s’agit de disperser les énergies de l’Ecomog entre le Liberia et la Sierra Leone. On a observé la participation de mercenaires Burkinabè, de mercenaires guinéens et surtout libériens. On peut même dire que la guerre civile en Sierra Leone est la fille de la guerre civile libérienne.
Et donc en janvier 1999, les rebelles de ce RUF entrent dans la capitale Freetown dans laquelle ils sèment le chaos. C’est ce qu’on appelle l’opération « No living thing », littéralement « Plus rien de vivant ». Qu’est-ce qui se passe à ce moment-là ?
L’arrivée même du RUF dans la capitale faisait que les gens fuyaient déjà. Malheureusement, ceux qui n’ont pas pu partir ont été pris dans le feu de l’action et ont été les plus grosses victimes. Le RUF s’est attaqué à toutes les populations civiles qui étaient censées soutenir l’Ecomog et le pouvoir en place. Et cela a donné des exactions comme « manches longues, manches courtes »…
…« Manches longues, manches courtes », c’est-à-dire des amputations des bras…
C’est exact. On peut ajouter aussi les viols et les exécutions sommaires, les assassinats de masse, les incendies des quartiers. En tout cas, on a compté les morts par milliers.
Qu’est-ce qui explique ce niveau de violences pendant la guerre civile sierra-léonaise ?
Il y a un sentiment de vengeance à l’égard des troupes nigérianes qui sont accusées d’être des envahisseurs. Il y a le fait que les populations civiles soient accusées de soutenir les troupes nigérianes, mais on peut aussi ajouter à cela la relative jeunesse des combattants qui ont été drogués et qui ont été envoyés comme des chiens de guerre à l’encontre des populations.
Quand et comment prend fin la guerre civile ?
En janvier 1999, le RUF arrive dans les faubourgs de Freetown, et finalement parvient à chasser l’Ecomog et le régime en place dirigé par Tejan Kabbah. Pendant trois semaines, l’Ecomog va tenter de reprendre la capitale. Cette Ecomog finalement met fin à l’action militaire du RUF qui va se replier à l’est du pays. A force d’attaques et de contre-attaques, il y a un projet de négociations qui est lancé. Et ce projet aboutit à la signature d’abord de la cessation des hostilités, et ensuite à la signature d’un accord de paix en juillet 1999 [les accords de Lomé, signés par Ahmad Tejan Kabbah et Foday Sankoh sous les auspices de plusieurs chefs d’Etat ouest-africains].
Quel est le rôle que les diamants jouent dans ce conflit ?
Les diamants ont vraiment joué un rôle très important puisqu’ils ont permis de financer les activités militaires des uns et des autres que ce soit du côté gouvernemental ou du côté des rebelles. La conquête des zones diamantifères a aussi cristallisé l’essentiel des affrontements entre le camp gouvernemental et le camp des rebelles, et même quelque fois, entre les rebelles et les forces nigérianes de l’Ecomog. Dans les projets de négociation, on a vu que Foday Sankoh était vraiment accroché aux zones diamantifères. Et il a fallu lui réserver un poste qui allait lui permettre de s’occuper de la gestion de ces diamants.
Quelles ont été les conséquences de ce conflit sur la société sierra léonaise ?
Les premières conséquences sont psychologiques. On a parlé des « manches longues » et des « manches courtes », les cas de viol… les populations ont été marquées à vie. Mais il y a aussi l’éclatement des familles. Donc vraiment, la Sierra Leone est sortie de ce conflit-là avec des conséquences très visibles au niveau social. La fin du conflit va se manifester par la mise en place d’un tribunal, qui va essayer de réparer les effets psychologiques, de juger les auteurs de ces exactions. Les institutions politiques et juridiques n’existent plus. Il va falloir relancer la reconstruction post-crise. Tout est à reconstruire dans le pays.
Et Charles Taylor lui-même a été sanctionné…
Charles Taylor a été arrêté finalement et traduit en justice. Foday Sankoh est mort en détention. Il y a quelques anciens rebelles qui se sont reconvertis dans la vie politique, qui ont même participé à des consultations électorales. Mais ce qui est intéressant, c’est comment les Sierra-Léonais arrivent à regarder vers l’avenir, à reconstruire un pays qui était vraiment détruit. Je pense que la Sierra Leone a pu en quelques années solder le passé de la guerre.
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