France-Maroc: «La France a déjà écrit de très belles pages footballistiques, mon cœur penche pour le Maroc» (Aboubakr Jamaï)
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France – Maroc, ce mercredi soir à 19h (TU), c’est plus qu’un match de football. C’est une bataille qui oppose deux peuples amis et deux pays aux destins entremêlés. D’autant que de nombreux Français vivent au Maroc et de nombreux Marocains vivent en France. Le Marocain Aboubakr Jamaï est un de ceux-là. Fondateur au Maroc de l’hebdomadaire Le Journal, à l’époque du roi Hassan II, il vit aujourd’hui à Aix-en-Provence, dans le sud de la France, où il dirige l’École des relations internationales et du management. À quelques heures du match, ce passionné de football se confie.

RFI : Ce soir, c’est la France ! Alors, votre pronostic ?
Aboubakr Jamaï : Je souhaite que le Maroc gagne, pas seulement parce que je suis Marocain, mais je crois que la France a déjà écrit de très belles pages dans son histoire footballistique. Je crois que le Maroc mérite cette fois d’écrire sa propre légende. Je suis assez abasourdi par la maturité – que ça soit celle de Walid Regragui ou de celle ses joueurs – donc mon cœur sera très fermement du côté marocain. En sachant aussi que je suis un grand admirateur du football français, de cette équipe française qui aussi, évidemment, est extraordinaire.
Alors, cette passion-là, depuis quelques semaines, de tout un peuple pour son équipe de foot. Est-ce qu’il y a derrière une immense fierté d’être marocain ?
Oui, absolument ! Regardez la France. Je veux dire, l’attachement de la France à son équipe nationale est aussi très fort. Ça touche à la nature du sport qui est le football, qui est un sport qui n’est pas un sport de riche, qui est égalisateur socialement. C’est l’intégration des jeunes, surtout dans les pays en voie de développement – l’intégration dans les quartiers – donc évidemment, dans les pays en voie de développement, il y a plein de vidéos qui circulent sur les explosions de joie aussi lointaines que l’Indonésie, lorsque le Maroc gagne. Évidemment, il y a une résonance identitaire, c’est un pays musulman, en très grande majorité, c’est un pays berbero-arabe aussi. Et puis tout simplement, c’est le petit qui est en train d’en montrer aux grands.
Et vu cette solidarité arabe, on peut imaginer que ce soir, vous jouerez un petit peu à domicile, non ? Ça n’est pas du jeu, ça !
Mais absolument, vous faites bien de le dire. J’avais une grande pensée pour tous ceux qui ont affronté le Maroc déjà ! L’Espagne, le Portugal et la Belgique ont joué à Casablanca. Ils n’ont pas joué à Doha. Quand vous voyez le stade, et qu’à chaque fois que l’équipe adverse touchait le ballon, c’étaient des sifflets. Effectivement, vous avez tout à fait raison, le Maroc joue à domicile à Doha.
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Vous avez éliminé successivement l’Espagne et le Portugal. Vous affrontez ce soir la France. Ce sont les trois derniers pays qui ont colonisé le Maroc. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Évidemment, c’est une dimension qu’on ne peut pas oublier. Donc il y a une espèce – peut-être dans l’esprit de certains – une espèce de revanche. Évidemment, avec la France, ça sera beaucoup plus fort parce que, si effectivement le Portugal, dans une moindre mesure, et l’Espagne un peu plus, ont été des puissances coloniales dans l’histoire du Maroc, la puissance coloniale pour le Maroc, c’est évidemment la France.
Mais je pense, très sincèrement, qu’on commence à dépasser, depuis pas mal de temps déjà, cette dimension. Tout simplement parce que ce sont deux pays qui ont des relations très fortes. Là, je ne suis pas en train de vous resservir la sauce diplomatique officielle, mais je suis content de voir un joueur marocain qui s’appelle Romain. Je suis content de savoir que Mbappé a une mère algérienne et un père camerounais.
D’ailleurs, vous savez que sur les 26 joueurs marocains, seize sont nés et ont grandi à l’étranger. Il n’y en a que trois, qui sont nés et ont grandi en France. Le reste – d’ailleurs, ça dit quelque chose sur l’évolution de l’immigration marocaine – vient plutôt de Belgique et de Hollande. Cette diversité-là, je trouve que c’est formidable, c’est une équipe nationale qui a beaucoup profité aussi des systèmes de formation européens, d’ailleurs français. Walid Regragui est né en Essonne, il a grandi en France, il a étudié en France. Parce que peu de gens le savent, mais c’est un monsieur qui a un DEUG en économie, qui est donc aussi le produit du système français.
À mon avis, ça nous met un peu au-delà de la dimension coloniale, même si, dans l’esprit de certains, cette dimension existera ce soir. Je pense que ce qui marque beaucoup plus, c’est cette interpénétration entre toutes ces sociétés que le football arrive à magnifier.
Oui, mais il y a tout de même des sujets de tension entre la France et le Maroc. En témoin, cette polémique depuis que la France a réduit de moitié le nombre de visas accordés aux candidats marocains. Est-ce que vous ne craignez pas des propos haineux aussi aujourd’hui ?
Je le crains, je le crains. J’espère que les gens feront la différence. Ce n’est pas la faute de Mbappé, de Tchouameni et de Giroud si les visas ne sont pas donnés aux Marocains. C’est la faute au gouvernement français. Mais effectivement, vous avez raison, il y aura probablement des manifestations pas très jolies. Bon, on espère que si elles existent, elles seront le fait d’une toute petite minorité.
Il y a eu des affrontements samedi dernier entre police et supporters marocains après la victoire du Maroc en quart de finale. Qu’est-ce que ça vous inspire ? C’était sur les Champs-Élysées, à Paris.
Oui, absolument. Il y a eu un précédent en Belgique d’ailleurs, qui était beaucoup plus grave, à Bruxelles, à Molenbeek. C’est le fait en général d’une minorité et je suis toujours inquiet quand ce genre de phénomène se passe parce que, évidemment, vous vous imaginez bien, les extrêmes droites dans le monde sautent sur ce type d’incident pour en faire leur beurre et donc expliquer en quoi l’immigration est problématique, etc. Je pense que dans la grande échelle, ce sont des épiphénomènes.
►Le direct pour suivre le match France - Maroc ce soir
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