«Le budget de l'Afghanistan reste dépendant à plus de 60% de l'aide extérieure»
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Alors que les États-Unis ont quitté l’Afghanistan au 31 août 2021 comme promis, les talibans ont désormais les mains libres dans le pays. Mais le groupe doit composer avec les tendances en son propre sein pour l’exercice du pouvoir. Entretien avec Firouzeh Nahavandi, professeure à l'Université libre de Bruxelles, spécialiste de l'Asie du Sud-Ouest et auteure de Afghanistan (éditions de Boeck).

RFI : Rappelons d'abord qu'il existe différentes tendances au sein du mouvement taliban. Et c'est là que se trouve le principal défi : se réunir ou, du moins, travailler ensemble…
Firouzeh Nahavandi : Oui, bien évidemment. Dans les talibans, il y a un groupe plus radical que les autres : le groupe Haqqani. Il descend du groupe qui combattait déjà sous les Soviétiques. Puis il y a ceux qui se disent plus enclins à travailler avec l’Occident. Enfin, il y a surtout la base des talibans qui, elle, n’est pas tout à fait contrôlée et qui ne suit pas nécessairement toutes les directives des dirigeants.
Il faudra donc composer avec tout ce monde pour pouvoir affronter les gros problèmes qui restent à régler et qui, de toute façon, sont ceux que n’importe quel gouvernement prenant le pouvoir en Afghanistan rencontrerait.
L'un des principaux problèmes est de nourrir la population afghane.
Oui. Pour moi, le problème numéro un de la sécurité, c’est la sécurité humaine. Et dans ces problèmes, il y a la pauvreté et le fait que 50% de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté, qu’il y aura un problème de malnutrition qui existe déjà. Près de 25% des enfants au moins sont mal nourris. Comme l’hiver va bientôt arriver, il y aura comme tous les ans des problèmes de nourriture, de chauffage, de santé… Il faut déjà qu'un gouvernement soit formé. Mais quel qu’il soit, il faut répondre à ces problèmes.
D’autant que Washington a fait savoir que les talibans n’auraient pas accès aux avoirs détenus par les États-Unis. Donc, les talibans sont seuls face à eux-mêmes.
Effectivement. C’est aussi probablement pour cela qu’ils ne coupent pas tous les ponts avec l’extérieur.
D’où l’importance de discuter également…
Tout à fait. Ils sont aidés par la Chine, l’Iran, le Pakistan, la Russie... Mais ils ont tout de même besoin des avoirs qui ont été gelés. Et ce n’est pas rien, car les revenus de l’Afghanistan et le budget de l’Afghanistan étaient et restent dépendants à plus de 60% de l’aide extérieure. Sans cette aide – qui devrait cesser –, sans ces avoirs, il restera toujours le narcotrafic qui est une autre plaie dans ce pays.
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L’ONU estime que les activités criminelles des talibans leur rapportent entre 300 millions et 1,5 milliard de dollars par an. Comment allier ces narcotrafics que vous évoquez et l’économie globale normalisée ?
C’est ça le problème du narcotrafic. Tomber dans un autre système, c’est très difficile, d’autant plus que c’est de l’argent relativement facile. Cela influence le système politique, ce qui soulève la question de la corruption, un sujet également important en Afghanistan. Cela génère aussi des revenus faciles dans les campagnes où de nombreux paysans préfèrent s’occuper de la culture du pavot plutôt que de se tuer au travail dans des conditions environnementales très difficiles.
Dans ce contexte, comment gagner ou regagner la confiance des populations ?
Si j’avais vraiment la réponse, ce serait réglé. Cela va être difficile, parce que de toute façon, les talibans peuvent avoir des sympathisants un petit peu partout qui espèrent qu’ils vont rétablir la paix et la stabilité. Il y a néanmoins une très grosse méfiance de la population des villes – en particulier Kaboul –, des intellectuels, des artistes, des femmes. Pour les rassurer, il faudra vraiment leur donner beaucoup de gages.
Est-ce qu’on peut aussi avoir peur de la « fuite des cerveaux », si elle a effectivement lieu ?
Oui, tout à fait. Les talibans ont d'ailleurs essayé d’utiliser cet argument pour empêcher que les Occidentaux exfiltrent certains Afghans, comme le peu de cerveaux qui restent ou qui ont été formés ces dernières années. Cela va être aussi un problème énorme que devra affronter le futur gouvernement, quel qu’il soit.
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