Journal d'Haïti et des Amériques

«L’année 1963 a été déterminante pour le mouvement des droits civiques»

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Soixante ans après la marche pour les droits civiques aux États-Unis, l’historien Simon Grivet, maître de conférence à l’Université de Lille, revient sur cet événement majeur de l’histoire américaine, véritable moment de bascule dans la lutte pour les droits des Afro-américains.

Le 28 août 1963, devant le Washington Monument lors de la marche sur Washington pour l'emploi et la liberté.
Le 28 août 1963, devant le Washington Monument lors de la marche sur Washington pour l'emploi et la liberté. © Anonymous/AP
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Le lieu choisi était symbolique, le Lincoln Memorial, du nom du président ayant signé la proclamation d’émancipation un siècle plus tôt et aboli l’esclavage. Le 28 août 1963, 250 000 personnes ont écouté le célèbre discours du pasteur Martin Luther King, « I have a dream ». L’événement a marqué l’histoire, « la marche s’est tenue au cœur des institutions civiques à Washington, elle a été retransmise à la télévision. C’était un succès extraordinaire, encore plus un mercredi, un jour de semaine, rappelle Simon Grivet, cela a permis de nationaliser vraiment les enjeux des luttes des Noirs américains qui étaient encore assez nettement ignorés par beaucoup d’États-uniens. »

Un succès après des années difficiles pour les mouvements afro-américains

L’année 1963 a marqué un tournant, grâce à l’engagement de Martin Luther King, qui avait déjà marqué les esprits en organisant une grande manifestation à Birmingham en Alabama, quelques mois plus tôt. « Voyant que les manifestations ne fonctionnaient pas, que Martin Luther King lui-même est jeté en prison et contesté par des pasteurs blancs qui l’accusent de créer du désordre, raconte l’historien Simon Grivet, la communauté africaine-américaine de Birmingham décide de mobiliser les enfants. Comme King et ses alliés s’y attendent, la police va trop loin dans la répression, utiliser des chiens policiers qui se jettent sur les enfants, des canons à eau des pompiers et cette répression féroce est filmée donc cela a un retentissement immense dans tous les États-Unis, choque le reste de l’Amérique et conduit les autorités municipales à céder. Donc, c’était une victoire très importante. »

Une première pierre posée dès 1954 par la Cour suprême

Quelques années plus tôt pourtant, la Cour suprême avait pris position pour la première fois contre la doctrine « separate but equal », légitimant la ségrégation. À la fin du XIXè siècle, la Cour avait accepté que les enfants noirs et les blancs étudient dans des écoles différentes, à la condition que les moyens mis en place soient équivalents, « mais cela n’a jamais été le cas, souligne Simon Grivet, il y avait des écarts de 1 à 5 dans les budgets et les écoles noires étaient dans un état très difficile dans le Sud. »

Grâce au travail de l’association NAACP (National association for the advancement of colored people) et le recours à des arguments nouveaux, comme les conséquences sur le développement psychologique des enfants, la Cour suprême a rendu un arrêt en 1954 interdisant la ségrégation scolaire. « C’était un renversement complet de jurisprudence mais ce qu’on oublie souvent, c’est que cet arrêt a été complètement rejeté par le Sud et ses élites, et la population blanche en général. Une période très difficile pour les droits civiques s’est ouverte, avec ce que l’on a appelé la «résistance blanche massive» en Géorgie, en Alabama, au Mississippi, en Géorgie… la majorité a refusé cette intégration ou faire semblant, en intégrant une poignée d’élèves noirs. Les juges de la Cour suprême ont essayé de faire bouger les choses, cela a pris des années. Ils ont d’abord forcé les Blancs à ouvrir leurs écoles puis à mélanger leurs populations, jusqu’à utiliser les transports en commun, c’est ce qu’on appelle le «busing». Lors de cette période, les juges fédéraux ont pris beaucoup de pouvoir, au point de gérer les choses à la place des institutions locales. »

La question de l’accès à un enseignement de qualité fait toujours débat aujourd’hui, comme on a pu le voir avec la fin de l’« Affirmative action », décidée par la Cour suprême cette année, ou encore les mesures récentes adoptées dans la très conservatrice Floride, des consignes imposées aux enseignants pour qu’ils apprennent à leurs élèves que les esclaves ont eu l’occasion de « développer des compétences qu’ils auraient pu utiliser à leur bénéfice personnel. »

L’accès au vote, « un combat toujours actuel »

Deux ans après cette marche historique de Washington, le Congrès votait le « Voting rights act », mais aujourd’hui encore, de nombreux États à majorité républicaine tentent de limiter l’influence électorale des Noirs. « Le droit de vote et les cartes électorales sont décidés au niveau des États, donc quand les républicains dominent toutes les institutions, ils sont libres de faire du charcutage électoral, explique Simon Grivet, d’autant plus que la Cour suprême a dit ces dernières années que ces questions n’étaient pas de son ressort mais relevaient de la sphère politique. » Selon l’historien, la situation est caricaturale aujourd’hui en Alabama, avec une seule circonscription où sont regroupés la plupart des Africains-Américains. « La Cour suprême a quand même fini par leur accorder une deuxième circonscription mais le Congrès d’Alabama refuse toujours de le faire. Sur la question des modalités du droit de la vote, il y a aussi des tas de magouilles pour gêner le vote de ceux qu’on pense être plutôt favorables aux démocrates qui sont souvent issus des minorités. »

Enfin, il reste un autre dossier en chantier, celui des violences policières. Dans un pays où les forces de l’ordre tuent un millier de personnes chaque année, un Noir américain a deux fois plus de risques de mourir tué par la police qu’une personne blanche. « Ils sont en première ligne, résume Simon Grivet, et ces incidents sont devenus insupportables à une bonne partie de l’opinion publique depuis le début de Black lives matter en 2013. »

 

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