Les dessous de l'infox, la chronique

#Pfizergate: la fabrication d'un scandale sur les réseaux sociaux

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L’amplification est un outil de manipulation de l’information très utilisé sur les réseaux sociaux. Le nouveau « scandale » qui a éclaté sur la toile, à partir d’une enquête publiée le mardi 2 novembre dans le British Medical Journal (BMJ) en est un parfait exemple. Le géant pharmaceutique Pfizer est épinglé pour la façon dont certains essais cliniques ont été conduits en amont de la mise sur le marché de son vaccin contre la Covid-19.Sophie Malibeaux et Grégory Genevrier.

Un flacon du vaccin Pfizer contre le Covid-19. (image d'illustration)
Un flacon du vaccin Pfizer contre le Covid-19. (image d'illustration) © REUTERS / Dado Ruvic
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L’article du British Medical Journal paru ce mardi 2 novembre 2021 pointe du doigt trois laboratoires du groupe Ventavia au Texas, chargés d’essais cliniques sur le vaccin Pfizer. Ils sont notamment accusés de falsification de données, de retard dans le suivi des effets indésirables, et de mauvaises conditions de stockage des doses. C’est Brook Jackson, une ancienne employée du groupe, qui révèle ces manquements. Aussitôt, les réseaux sociaux s'emparent du sujet avec le #Pfizergate ou plus tard #ScandalePfizer.

Le lendemain de la publication de l’enquête, #Pfizergate affiche plusieurs milliers de mentions sur les grandes plateformes. La sphère politique s’empare alors de l’affaire, Florian Philippot et Nicolas Dupont-Aignan en tête. Les deux hommes parlent d’un scandale mondial et demandent la suspension immédiate du vaccin. La tendance monte en flèche dans la journée, devenant virale. Mais rien de « planétaire » pour autant puisque l’embrasement est avant tout franco-français, et porté par les militants anti-vax.

Le rôle d’amplification des anti-vax

En suivant le phénomène à la loupe, on observe des signes d'amplification artificielle. De nombreux comptes bombardent les réseaux de posts avec le #PfizerGate, sans même commenter l’affaire. Ce ne sont pas des robots mais bien une armée de twittos mobilisés pour créer la tendance.

Et puis il y a tous ceux qui, par leurs commentaires, manipulent l’enquête pour lui donner une dimension qu’elle n’a pas. C’est le cas de l’agence de presse russe Tass, qui titre « Les essais de Pfizer sont défectueux et falsifiés, selon le British Medical Journal ». Certains twittos vont même jusqu'à évoquer la mise en danger de milliards d’êtres humains avec le vaccin. Une façon de généraliser les manquements alors que l’enquête cible un faible échantillon.

En réalité, les essais cliniques de Pfizer en phase 3 ont concerné près de 44 000 participants dans 153 centres répartis dans le monde. Les défaillances observées portent sur un groupe de 1 000 personnes. Ce qui n’est donc pas de nature à modifier le résultat global de l’essai clinique.

Une enquête incomplète

On peut également s’interroger sur la qualité de l’enquête. Celle-ci évoque une lanceuse d’alerte, mais c’est l’unique source, à part quelques témoignages anonymes. Brook Jackson, la seule citée nommément dans ce rapport, aurait passé deux semaines dans l’entreprise. Ventavia aurait décidé de se séparer de son employée, le jour où elle a informé l’agence étasunienne du médicament (FDA) de ses observations. Le rapport évoque le mail envoyé à la FDA ainsi que d’autres documents comme des enregistrements et des photos, qui cependant ne sont pas dévoilés.

Quant à l’auteur de l’article, Paul D. Thacker, il apparaît assez controversé dans les milieux des sciences et du journalisme. Certains lui reprochent d’avoir porté par le passé un regard biaisé sur des sujets comme la 5G ou les OGM. Précisons que la procédure de relecture n’a pas été effectuée en interne. C’est explicitement précisé, et le British Medical Journal nous l’a confirmé, l’article a fait l'objet d'une relecture par deux experts extérieurs à la rédaction. Par ailleurs, le sous-traitant incriminé affirme ne pas avoir été contacté par l’auteur du rapport.

Un effet boule de neige

Au bout du compte, ces éléments paraissent un peu faibles pour conclure à un « scandale planétaire ». C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les grands médias ne se sont pas emballés aussi vite que les internautes. Le travail journalistique ne permet pas de rivaliser avec l’immédiateté du clic sur les réseaux sociaux, qui plus est lorsque les internautes ne se donnent pas la peine de lire l’article qu’ils commentent. La lenteur médiatique est ainsi instrumentalisée à des fins conspirationnistes.

 

 

Depuis les faits constatés dans l’enquête – en septembre 2020 – les résultats obtenus à travers la vaccination ont validé l’efficacité du vaccin. On ne sait pas à ce stade, si les manquements dénoncés sont avérés. Pfizer et Ventavia ainsi que les agences étasunienne et européenne du médicament se penchent sur la question. Contactée par le journal Libération, la société Ventavia affirme enquêter sur les allégations de Brook Jackson.

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