Manipulation des chiffres de la délinquance et de l’immigration en France
Publié le :
Immigration et délinquance sont deux sujets polémiques qui ne figurent pas parmi les priorités des Français, davantage préoccupés par leur pouvoir d’achat. Mais le contexte électoral conduit le candidat d’extrême droite Éric Zemmour à mobiliser sur ces thèmes clivants. Sa stratégie de campagne le mène à faire de l’immigration la cause première de tous les maux du pays, à commencer par la délinquance, quitte à manipuler les chiffres, et leur faire dire ce qu'ils ne disent pas.
C’est « statistiquement incontestable ». D'après Éric Zemmour, la délinquance est « la conséquence d’une immigration folle ». Il l’a déclaré sur la chaîne Public Sénat. Il y revient sur Twitter à l’aide de graphiques utilisant des données provenant de sources diverses – ministère de la Justice d’un côté, mais aussi de l’Intérieur et Institut national de la statistique –, un mélange difficilement vérifiable.
À titre d’exemple, l’un des graphiques combinant des données censées provenir de l’Insee et du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), indique que 38% des vols violents sans armes seraient commis par des étrangers, dont 33% ayant la nationalité d’un pays africain, alors que l’on compte 10% d’étranger dans la population générale. Ce qui le conduit à affirmer que l’immigration zéro provoquerait la disparition des actes délinquants.
Mais cette exploitation des chiffres ne prend pas en compte les mises en garde de l’organisme qui les publie, et notamment le fait que des personnes d’abord identifiées comme étrangers puissent aussi détenir la nationalité française.
Par ailleurs, ces données reflètent notamment le travail de la police judiciaire sur la criminalité organisée et ses filières, impliquant une dizaine de nationalités à l’échelle mondiale. Ces organisations criminelles recrutent effectivement des étrangers en France dans le cadre d’un trafic international d’êtres humains. Les principaux mis en cause sont néanmoins essentiellement français, comme il est établi dans le rapport SSMSI publié en décembre 2021. Ce qui jette une tout autre lumière sur les chiffres présentés par le candidat Zemmour. Si la surreprésentation des étrangers est avérée, elle est à nuancer.
Corrélation n’est pas causalité
Surtout, la suite du raisonnement paraît fallacieuse à plus d’un titre. Éric Zemmour introduit un biais lorsqu’il dresse un lien de causalité entre le fait qu’il y ait des immigrés en France et le fait qu’il y ait de la délinquance. Il fait dire aux chiffres ce qu’ils ne disent pas, et confond corrélation et causalité. Ce qui lui permet d’évacuer tout autre facteur d’explication.
L’emploi de graphiques simplistes mal sourcés est aussi une façon d’influencer l’internaute, d’autant que le rouge employé pour désigner l’étranger renforce le caractère alarmiste du message.
Éric Zemmour va plus loin en faisant allusion aux « enfants d’immigrés », car selon lui, la quasi-totalité des actes de délinquance serait imputable non seulement aux immigrés, mais aussi à leurs enfants. Raison pour laquelle il prône la suppression du droit du sol. Or il n’existe pas de statistiques ethniques en France pour étayer cet argument. La compilation de statistiques ethniques est en soi un sujet très controversé et contrôlé par la loi, du fait de l'instrumentalisation dont elles pourraient faire l'objet.
Le martèlement de contre-vérités
Éric Zemmour a décidé de faire de l’immigration « la mère de toutes les batailles ». Cela lui a déjà valu une condamnation, lorsqu’il avait qualifié les mineurs migrants isolés, de « voleurs », « assassins » et « violeurs », tout comme Donald Trump l’avait fait avant de se faire élire.
À l'instar de l’ancien président américain, il use de la technique du martèlement de contre-vérités ou d’arguments trompeurs. L’objectif est de marquer les esprits par des assertions simplificatrices, voire erronées, qui – à force d'être répétées – ont quelques chances de s’imposer dans l’esprit d’une partie du public. Le fait même de devoir rétablir la vérité donne de la visibilité au mensonge. C’est la stratégie délibérée de l’emploi d’un récit alternatif, devenu un mode de communication capable de vicier le débat démocratique.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne