Sénégal: les terrains de la discorde après la victoire des Lions à la CAN

Au Sénégal, de violentes manifestations ont secoué plusieurs fois le quartier de Ngor à Dakar entre fin février et début mars, allant jusqu’à un affrontement violent avec les forces de l’ordre et l’arrestation de neuf personnes, toujours sous mandat de dépôt et qui attendent d’être entendues par le juge d’instruction. Les jeunes populations lébous - communauté traditionnelle de pêcheurs - contestent l’octroi de terrains aux Lions du Sénégal par Macky Sall suite à la victoire de la Coupe d’Afrique des nations qui seraient sur les terres de l’ancien aéroport au cœur de Dakar, dont ils revendiquent le droit depuis des années pour l’extension de leurs villages.

Une rue du village de Yoff, au Sénégal. Un collectif qui regroupe les trois villages de Ngor, Ouakam et Yoff revendique les terres de l’ancien aéroport au cœur de Dakar depuis des années pour l’extension de leurs villages. © Getty Images/Tim E White

De notre correspondante à Dakar,

Arpentant les ruelles très étroites de l’ancien village de Ngor, au cœur de Dakar, Alioune Badara Samba, 29 ans, se plaint des conditions précaires de vie qui alimentent la frustration des jeunes du quartier. L’annonce de l’octroi de 200 mètres carrés aux footballeurs qui ont gagné la CAN a donc été l’étincelle qui les a fait sortir dans la rue.

« C’est dur ce qu’on est en train de vivre. Les Lions nous ont rendus fiers le soir du 6 février, on n’a rien contre eux. Ils n’ont pas été demandeurs au niveau de l’État. L’État leur a attribué deux terrains. C’est à partir de ça qu’on s’est dit pourquoi ne pas manifester. On n'a que cet espace de l’aéroport qu’il nous reste. On va se battre corps et âme, on ne va pas lâcher », prévient-il.

Le collectif qui regroupe les trois villages de Ngor, Ouakam et Yoff entourant l’ancien aéroport a décidé de négocier et de se mobiliser de façon pacifique. Mamadou Ndiaye est le coordinateur intérimaire du collectif à Ngor. « Nos revendications, c’est pour l’extension de notre village de Ngor, vous avez les maisons côtières, à l’autre bout se sont construites des villas de luxe. On ne peut plus s’élargir de l’autre côté. »

Des terres revendiquées depuis 2017

Les terres de l’ancien aéroport avaient été réquisitionnées dans les années 1940 par l’État colonial français pour construire un aéroport militaire au début de la Seconde Guerre mondiale. Depuis la délocalisation de l’aéroport en 2017, les communautés voisines revendiquent ces terres, explique Omar Diagne, coordonnateur du collectif à Ouakam.

« Ces terres-là appartenaient à nos parents. Il y a eu une réquisition pour cause d’utilité publique », dit Omar Diagne. « Maintenant, aujourd’hui, si l’État peut se permettre de donner à des Sénégalais, pourquoi pas les populations de Tanka, Ouakam, Ngor et Yoff ? On a donné à tout le monde, sauf nous. C’est une injustice notoire ! Nous avons des titres fonciers dedans et nous avons un droit de préemption », martèle-t-il.

Trouver un compromis

Mais ces terres avaient de toute façon été vendues à l’époque, répète El Hadj Mamadou Diao, directeur des domaines du Sénégal. « Il y a une grande confusion, parce que dans les mécanismes d’acquisition de terre, il ne s’agit pas d’expropriation, il y a eu une vente. Puisqu’il s’agissait d’une vente, l’objet pour lequel les populations se battent est caduc. Maintenant, le président de la République est en train de trouver un palliatif en voyant comment céder une assiette au niveau de l’aéroport à une des collectivités territoriales. À charge pour elles de voir comment contenter les projets des populations locales. »

Le président de la République Macky Sall a aussi prévu 75 hectares pour les trois communautés à Deni Biram Ndao, soit à 50 kilomètres de distance des villages traditionnels.