Reportage Afrique

Un bébé à tout prix [3/4] Tchad: femmes stériles, la chasse aux sorcières

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Au Tchad, les femmes mariées qui n’ont pas d’enfants sont fortement stigmatisées dans la société. Sous pression de la famille, du quartier et même de l’Église. Une pression si forte qu’il est difficile pour ces femmes d’en parler à leur proche, à leur médecin, et pire, de témoigner de peur d’être reconnues et jugées.

La Ligue tchadienne des droits des femmes se bat pour les droits des femmes et milite pour qu'il y ait plus de sensibilisation.
La Ligue tchadienne des droits des femmes se bat pour les droits des femmes et milite pour qu'il y ait plus de sensibilisation. © Aurélie Bazzara-Kibangula/RFI
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De notre correspondante à N'Djamena au Tchad 

Recroquevillée sur un banc dans la cour de sa maison, Victoria, un nom d’emprunt qu’elle s’est choisi, souffre. Mariée depuis plus de neuf ans, elle n’a pas d’enfants. 

« Quand tu te maries, un mois plus tard, tout le monde te regarde, et te dis :"tu attends quoi ?". Toujours des questions, des questions, des questions », déplore-t-elle.

Tous les jours, elle subit des pressions qui l’ont petit à petit isolée. Craignant le regard des autres, elle ne se rend plus à l’église et ne sort plus dans le quartier. 

« Une de nos voisines, qui a un de ses enfants malade, m'a dit, qu'une autre voisine lui a dit, que comme je n'ai pas d'enfant, c'est que je suis peut-être une sorcière, que j'ai rendu l'enfant malade », raconte-t-elle.

Même sur son lieu de travail, la question des enfants lui est rappelée quotidiennement. Elle nous confie : 

« J'ai des collègues qui me disent, toi et ton mari, vous êtes deux hommes mariés, dans la même maison. Parce que quand c'est un homme et une femme, on suppose qu'il va y avoir des enfants. Mais là, on ne voit rien. J'avoue que je pleurais beaucoup les deux premières années, mais maintenant, je me suis créée une carapace »

Après plusieurs examens médicaux restés sans résultat, Victoria affirme se sentir chanceuse d’être soutenue par son mari. Car d’autres femmes sont abandonnées quand l’enfant se fait attendre. 

C’est le cas de Zara. Par peur d’être reconnue, elle refuse de témoigner au micro, mais explique que son époux l’a obligée à retourner vivre chez ses parents après une fausse couche qui l’empêche de concevoir un enfant.

À écouter aussi : RDC : l'infertilité taboue prise en charge à Kinshasa

À N’Djamena, difficile pour les couples de briser le tabou de la conception d’enfant, tant la stigmatisation est forte.

« Il est vrai qu'on a cette envie-là de dire que oui, je suis une femme, que j'ai mon droit, j'ai ma liberté d'être enceinte ou de ne pas l'être. Cette envie de le dire, de le crier haut est bien présente, même si on ne l'entend pas assez. J'espère qu'avec le temps, on pourra mener ce combat, lutter. La sensibilisation est la clé de tout », explique Raissa Madibé, membre de la Ligue tchadienne des droits des femmes.

Une sensibilisation qui doit être faite dans les rues de la capitale, selon la militante, car même dans le milieu médical, il est difficile de briser le tabou du désir d’enfant.

Sophie, infirmière dans un cabinet de gynécologie, en témoigne. 

« Il y a des femmes qui viennent consulter pour des troubles de cycle menstruel, d'autres qui consultent pour une aménorrhée secondaire. C'est rare que des femmes consultent en parlant ouvertement de leur désir d'enfant, pourtant, elles sont vraiment nombreuses », explique Sophie.

L’infirmière explique que, souvent, les femmes viennent consulter en dernier recours, après avoir essayé des médecines traditionnelles sans succès. Au Tchad, il n’existe aucun chiffre sur les taux d’infertilité des femmes et des hommes.

À écouter aussi : «Yaay.2.0», la série TV qui s’attaque au tabou de l’infertilité

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