Soudan: un an après le putsch, la crise économique frappe les habitants des quartiers périphériques [3/4]
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Un an après le coup d’État, le troisième épisode de notre série Soudan et le putsch au prix des libertés acquises pendant la révolution nous emmène dans les quartiers périphériques à l’ouest de la capitale, où la crise économique frappe durement la population qui subit également les assauts des forces de l’ordre.
De notre correspondant à Khartoum,
C’était il y a un an. Le 25 octobre 2021, un coup d’État militaire faisait dérailler la transition politique amorcée en 2019 à la chute d’Omar al-Béchir. Après avoir arrêté tous les représentants civils du gouvernement, le général Abdel Fattah al-Bourhane accaparait le pouvoir, déclarant vouloir « rectifier le cours de la révolution » qui avait mené à la chute du régime islamiste. Un an plus tard, le pays est plongé dans le marasme avec des manifestations hebdomadaires et une économie au bord du gouffre.
Dans le quartier de Jabarona, situé à plus de 20 kilomètres du centre de Khartoum, sur le bord de la seule route goudronnée des environs, Ahmed attend son bus sous un soleil de plomb. « Je suis ouvrier journalier sur les chantiers. Au mieux, on arrive à se faire embaucher un à deux jours par semaine. Il n’y a plus de boulot. Ce n’est plus comme avant. Pour en trouver, tu dois prendre les transports, mais il faut payer 5 ou 7 euros pour faire l’aller-retour à la ville, déplore-t-il. C’est ce que tu gagnes au mieux en une journée de travail. On vit comme en prison. Tu as à peine de quoi te payer un thé, tu rentres chez toi et tu n’as déjà plus rien ».
Régulièrement, la police effectue ici des opérations baptisées « de lutte contre le crime et les phénomènes négatifs». Dans le viseur des autorités : les nombreuses femmes qui vivent du commerce d’alcool local, distillé à base de dattes. Sa production est illégale, mais pour ces femmes, c'est l’une des seules sources de revenus possibles. Comme en témoigne Suzanna, ces descentes de soldats s’apparentent plutôt à des razzias : « Ils ont défoncé la porte et sont entrés dans la chambre. Ils ont tout éparpillé et m’ont dépouillé. Ils ont volé ma chaîne en or de 13 grammes, les 60 000 livres que je gardais pour payer l’école à mes gamins. Ils vont devoir rester à la maison maintenant. C’est quoi ce gouvernement qui dépouille les citoyens de toutes les économies gagnées à la sueur de leur front ? »
« On est vus comme des gens de la débauche »
Dans ce quartier, tous les habitants viennent des Monts Nouba. Ils ont été déplacés par la guerre menée par le gouvernement d’al-Béchir dans cette région au sud du pays. Mahdi, un étudiant se sent comme un citoyen de seconde zone. « Quand tu vois tout ça, tu finis par penser qu’ils ne te considèrent pas comme l’un des leurs. Pas comme un citoyen de leur pays. Pour eux, on vient des Noubas, on est des marginaux. Et parce qu’on vit dans ce bidonville, ces logements informels, on est vus comme des gens de la débauche. C’est l’étiquette qu’ils nous collent. »
À Jabarona, on ne parle pas de politique. L’urgence, c'est la survie au quotidien. Kader Ramadan est peut-être l’un des seuls jeunes du quartier à aller manifester contre le pouvoir militaire. « Les gens ici sont loin de la politique, constate-t-il. Loin de l’État. Leur préoccupation, c'est trouver à manger. Depuis le coup d’État, le pays est tombé plus bas que terre. Les militaires se sont répartis le pouvoir entre eux et les richesses. Il n’y a pas une miette qui arrive au citoyen. »
La crise économique ne cesse pas de s’aggraver. Au moins 15 millions de Soudanais, soit un tiers de la population, sont touchés par la faim selon le Programme alimentaire mondial, le double des estimations de 2021. Ce chiffre pourrait atteindre 18 millions à la fin de l’année.
► Épisodes précédents :
• Soudan: un an après le coup d’État, les femmes soudanaises craignent pour leurs droits [2/4]
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