Réfugiés tigréens au Soudan: les exactions se poursuivent de l’autre côté de la rivière Tékézé [2/5]
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Les exactions commises par les forces érythréennes et les milices Amhara dans le Tigré pourraient faire vaciller l'édifice de paix signé le 3 novembre à Pretoria. La région est encore aujourd'hui le théâtre d’un nettoyage ethnique, selon des témoignages recueillis de l’autre côté de la frontière, au Soudan, où près de 46 000 Tigréens se sont exilés dans des camps de réfugiés.

De notre envoyé spécial à la frontière éthiopienne,
Parlant parfaitement la langue Amharique, Tirhas Gebremichael, qui tenait un restaurant à Humera, a été épargnée pendant de longs mois par les milices qui ont pris le contrôle de la ville. Jusqu’aux jours où son établissement a été réquisitionné. Elle a décidé de s’enfuir au Soudan, emportant avec elle les souvenirs de l’occupation.
« Il ne reste presque plus de Tigréens dans la région de Humera, raconte-t-elle. Certains civils ont décidé de rester, car les Amhara et l’armée fédérale assuraient que la situation était calme et qu’ils pouvaient travailler sans crainte. Mais ils ont menti. La plupart ont été emprisonnés, surtout les jeunes. Les milices les interrogeaient pour obtenir des informations. Beaucoup ont été tués. De nombreux corps ont été jetés dans la rivière Tékézé. Ils leur avaient lié les mains derrière le dos. »
La semaine dernière, les rebelles ont affirmé avoir désengagé 65% de leurs combattants des lignes de front et la capitale du Tigré, Mekele, était même reconnectée au réseau électrique national après plus d’un an de coupures. Les belligérants ont reconnu « des pas en avant », mais la trêve reste très fragile en raison des nombreux pans du Tigré qui restent largement coupés du monde et de l’aide humanitaire. Les rapports des ONG de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch et Amnesty International, y dénoncent depuis deux ans de nombreuses exactions commises par l'armée érythréenne et les milices de la région éthiopienne de l'Amhara.
« Les Amhara cherchaient à briser notre identité »
En août 2021, une cinquantaine de corps présentant des marques de torture ont été repêchés sur la rive soudanaise de la rivière. Haléka Aragawi l’avait franchie au cours des tout premiers jours de la guerre pour échapper aux bombardements. Puis, le fermier est retourné cultiver pendant plusieurs mois ses deux hectares de sésame dans la campagne de Humera. « Un jour, le 20 août 2021, des miliciens "fanno" m’ont arrêté à un check-point et ont demandé ma carte d’identité, retrace-t-il. Lorsqu’ils ont compris que j’étais tigréen, ils m’ont battu avec la crosse de leurs fusils. J’étais gravement blessé, je saignais du crâne. Ils m’ont amené dans un centre de détention. Un grand hangar à sésame converti en prison pour tous les Tigréens de la région. Je n’ai reçu aucun soin pendant trois mois. »
Ce paysan d’une trentaine d’année est resté un an en détention. « Au début, on était près de 3 000 prisonniers. Les plus vieux ont été transférés vers le centre du Tigré. » Il dénonce tortures et déplacements forcés. « Nous, on était frappé tous les jours par les gardes, témoigne-t-il. Ils nous fouettaient sans raison avec des câbles électriques. Nous n’avions presque pas d’eau ou de nourriture. Il n’y avait que des Tigréens. Les Amhara cherchaient à briser notre identité. J’espère que la paix adviendra, mais en réalité, cet accord de papier ne correspond pas à la réalité. Les milices "fanno", les Érythréens, occupent, tuent et pillent, les territoires qu’ils occupent. »
Le 17 août dernier, pendant une nuit pluvieuse, Haléka s’enfuit avec un codétenu, se hissant sur le toit grâce à une cordelette improvisée avec des vêtements. Il était prêt à mourir plutôt que de survivre dans l’enfer de la détention.
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