Reportage Afrique

Kenya: la mémoire des Mau Mau [2/3]

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Ce 12 décembre, le Kenya fête ses 60 ans d’indépendance. Suite de notre série autour des Mau Mau, ce mouvement d’insurrection qui s’est battu pour l’indépendance du Kenya dans les années 1950 et a été violemment réprimé par les colons britanniques. Soixante ans plus tard, la mémoire de cette période reste peu enseignée, au grand regret des historiens.

Des activistes kényans protestent contre la visite du roi Charles III au Kenya, le 30 octobre 2023.
Des activistes kényans protestent contre la visite du roi Charles III au Kenya, le 30 octobre 2023. © AFP / LUIS TATO
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De notre correspondante à Nairobi,

Muhia Kamau connaît par cœur les chants des Mau Mau. Ce trentenaire est passionné par ces combattants. Déçu par l’information qu’il trouvait en ligne, il leur a même dédié une page Facebook. Il y décrypte des archives pour ses milliers d’abonnés.

« C’est un pan de l’histoire qui est souvent refoulé. À l’école, on nous enseignait surtout l’histoire des six Kapenguria, six figures politiques qui ont été arrêtées lors de l’état d’urgence en 1952. Ces personnes ont été détenues pendant plusieurs années, puis Jomo Kenyatta est sorti de prison et est devenu le premier président. Mais sur les Mau Mau, on avait juste un petit paragraphe. D’ailleurs le commentaire que j’ai le plus sur ma page, c’est "Ah mais on ne nous a pas enseigné ça à l’école !" »

Un mouvement illégal jusqu'en 2003 au Kenya

À l’indépendance, beaucoup d’archives ont été détruites. D’autres emmenées à Londres et restées secrètes jusqu’à il y a une dizaine d’années. Surtout, il a fallu attendre 2003 pour que le mouvement Mau Mau ne soit plus considéré comme illégal au Kenya. Des aspects qui entravent la mémoire d’une période déjà controversée, explique Macharia Munene. Il est professeur d’histoire à l’université internationale des États-Unis à Nairobi.

« Le mouvement Mau Mau a divisé des familles. Au sein du même foyer, il y avait des Mau Mau et il y avait des collaborateurs, ceux qu’on appelait les "home guards", qui ont trahi leurs proches. À l’indépendance, Jomo Kenyatta leur a dit d’éviter d’en parler, de ne pas faire remonter l’expérience traumatisante des années 50. C’était martelé et ça a créé une forme de silence, parce que c’était douloureux, parce que ça divisait la famille ou parce que ça pouvait apporter des ennuis. »

La Constitution kényane de 2010 rend hommage à ceux qui se sont battus pour la liberté. Elle a instauré un jour férié dédié aux héros de l’indépendance, sans toutefois nommer les Mau Mau. De nombreux survivants aujourd’hui, ou leurs descendants, déplorent un manque de reconnaissance. Ils demandent toujours compensation, notamment pour la perte de leurs terres.

« Lors des fêtes nationales, on se souvient des Mau Mau. C’est tout, fin de l’histoire. Ah et pendant les rassemblements politiques, on scande "On s’est battu !". En fait, les Mau Mau sont devenus un slogan politique qui ressort selon l’occasion. »

Dans la capitale kényane, quelques initiatives tentent de faire perdurer la mémoire des Mau Mau, au travers de la photographie ou de la poésie.

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