Éthiopie: les habitants de Dowhan, au Tigré, sous la menace constante de l'armée érythréenne
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Au Tigré, région du nord de l’Éthiopie, une guerre civile dévastatrice a opposé les autorités régionales et le pouvoir fédéral allié de l’Érythrée voisine entre 2020 et 2022. Une guerre qui pourrait avoir fait jusqu'à 600 000 morts, selon l'Union africaine. Aux confins du Tigré, dans l'extrême-nord, malgré l’accord de paix signé fin 2022, les forces érythréennes occupent toujours une dizaine de districts. Un reportage exclusif RFI.

De notre envoyé spécial dans l'extrême-nord du Tigré, à Dowhan,
Dans les rues de Dowhan, en Éthiopie, dernière ville avant la zone sous contrôle érythréen, l’ambiance est beaucoup trop calme. Les routes vers le Nord sont coupées, car les Érythréens sont à moins de cinq kilomètres. Pour Eyasu Misgina, responsable administratif, la menace plane sur la ville : « La route est ouverte, les Érythréens pourraient venir à tout moment. Nous avons quelques policiers et miliciens, mais c’est tout. » Il confie : « On sait qu’ils envoient des espions infiltrés parmi les déplacés, pour voir s’il y a des marchandises à emporter. »

Les échanges commerciaux avec le Nord ont cessé et l’activité économique a chuté. Desbele Gebremedhin vend des téléphones et ne s’aventure plus dans la zone rouge : « Il ne faut pas y aller. Vous pouvez être tué, kidnappé. Nous n’envoyons plus de marchandises là-bas. Je veux que les Érythréens partent pour qu’on puisse reprendre une vie normale », se désole-t-il.
Aujourd’hui, les banques de Dowhan ont fermé, les transports en commun sont à l'arrêt et les habitants se déplacent avec des ânes.
Des crimes commis par l'armée érythréenne aux abords de Dowhan
Pourtant, la population de la ville a presque doublé avec l’afflux de 7 500 déplacés. Mehdi Kahsay vient d’Adi Dega. Il a vécu six mois sous le joug érythréen. Aujourd’hui, il est prêt à en découdre : « Chaque fois que les soldats venaient chez moi, je devais m’enfuir et dormir dans la brousse. On ne s’approchait jamais. Mais j’ai décidé de partir. J’en avais assez. » Il poursuit, en colère : « Je suis venu m’engager avec les forces tigréennes. Si les Érythréens refusent de partir, je suis prêt à mourir pour récupérer ma terre. »
Une crainte généralisée qui semble justifiée vu les atrocités dont certains déplacés, comme Fetuwi Tensahe, ont été témoins : « Ils nous ont accusés d’être des miliciens et ont tiré dans la foule. Des gens ont aussi été jetés vivants du haut de la montagne. J’ai vu plus de 60 corps. Donc, on a fui pour sauver nos vies. »
Près de lui, une jeune femme frêle se présente. Son cas est exceptionnel. Arberet Tohoum vit toujours côté érythréen. Elle donne un aperçu rarissime du quotidien de l’autre côté : « Ils ont des camions, leurs armes et uniformes. Ils sont dangereux et j’ai très peur d’eux. Pour partir, je leur montre ma carte d’identité. Comme ma maison est excentrée, ils m’autorisent à sortir. Mais ceux qui vivent en plein village n’ont pas le droit de s’en aller. Les Érythréens disent que ce territoire leur appartient.
À la sortie de la ville, une voie de rocailles monte vers les hauteurs. Les Érythréens sont en face. Et malgré le danger, Tareku Neguse s’engage sur le chemin avec ses ânes et des sacs : « Je sais que s’ils m’attrapent, ils peuvent me tuer. Mais je n’ai pas le choix, je dois apporter cette nourriture chez moi. Donc, j’essaie de trouver des chemins plus sûrs. »
Le jeune homme disparaît au-delà du chemin. Beaucoup, comme lui, ont emprunté la même voie, mais ne sont jamais revenus.

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