«On est prêts à affronter ce moment»: paroles de professeurs au premier procès du meurtre de Samuel Paty
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Le premier procès de l'assassinat de Samuel Paty, professeur tué il y a trois ans par un jihadiste, a commencé ce lundi 27 novembre. Sur le banc des prévenus, six adolescents qui risquent jusqu'à deux ans et demi de prison pour association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées. Ce sont leurs actions qui auraient permis au tueur d'identifier le professeur, afin de le tuer. Face à eux, la famille de Samuel Paty, mais aussi, les anciens professeurs des prévenus... Ils sont treize au total, rassemblés dans un collectif. Un groupe d'enseignants, venu assister au procès, non pas pour demander réparation, mais bien pour comprendre, trois ans après les faits, les agissements de leurs élèves.

Treize enseignants, des hommes, des femmes, sortent un à un d'une salle d'audience du tribunal de Paris. La mine grave, ils viennent de revoir les visages de leurs anciens élèves pour la première fois depuis trois ans. « Maintenant, on est prêts à affronter ce moment parce qu'on l'attendait. C'est un moment important pour nous. On a besoin de passer cette étape pour avancer dans nos vies », explique une professeure venue assister au procès.
Et pour avancer, ces professeurs qui préfèrent rester anonymes doivent obtenir la réponse à cette question : comment ces six adolescents, qu'ils ont eu en cours, ont pu permettre l'assassinat de leur collègue, Samuel Paty ? Le matin même, ce groupe d'enseignants du collège du Bois d'Aulne a obtenu l'autorisation d'assister au procès.
« Depuis trois ans, c'est difficile puisqu'on a des informations – un petit peu – au compte-gouttes ; et encore quand les informations ne sont pas erronées… On sait que cela va être compliqué, mais on est prévenu, on est tous ensemble, donc c'est plus facile à supporter », ajoute-t-elle.
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Gérer son traumatisme
C'est la raison pour laquelle ces treize professeurs ont formé un collectif. Avant la reprise du procès l'après-midi, le groupe profite, ensemble, d'une pause dans un café en face du tribunal. Parce que rester groupé, discuter, c'est déjà commencer à guérir.
« Dès le lendemain de l'attentat, je suis retournée au collège tous les jours », raconte une autre enseignante. « On avait l'impression qu'il n'y avait que nos collègues qui pouvaient comprendre ce qu'on avait vécu. Donc, ça, cela nous a aidés. Forcément, après, on a du mal à s'imaginer ailleurs, dans un autre établissement, où on côtoierait des gens qui ne comprennent pas forcément. »
S'investir d'autant plus dans sa mission pour gérer son traumatisme, David n'a pas été capable de le faire. Professeur d'histoire-géographie et proche collègue de Samuel Paty au moment des faits, il a quitté l'Éducation nationale au lendemain de l'attentat.
« Pour moi, c'était compliqué de me projeter sur les années d'après en étant professeur, parce qu'avant, face à certaines situations, face à certains mots des élèves, face à certaines choses qui pouvaient se passer en classe, je pouvais désamorcer les choses avec un trait d'humour, avec un mot, et là, je n'étais plus sûr de pouvoir faire fi de mes émotions », confie l'ancien enseignant.
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Des vies bouleversées
David espère pouvoir tourner une page, celle de sa vie de professeur, à l'issue de ce procès. Lui comme ses anciens collègues ont vu leur vie bouleversée au lendemain de l'attaque : syndromes post-traumatiques, ruptures familiales... Mais il y a une autre conséquence, qui concerne l'ensemble des professeurs de France : la peur d'enseigner.
Venir à ce procès, en tant qu'enseignant, c'est donc aussi représenter l'ensemble de la profession. « N'importe quel professeur de France – je trouve – a sa place dans ce procès », soutient une autre collègue. « Ce qui s'est passé il y a trois ans a impacté notre façon d'enseigner, notre façon d'être. C'est nous au collège du Bois d'Aulne, mais je pense que ce sont tous les professeurs de France qui se reconnaîtront à travers nous. Le métier de professeur devient un métier à risque... »
Une référence à l'attentat d'Arras, en octobre, qui a coûté la vie à un professeur de français ; près de trois ans, jour pour jour, après celui de Samuel Paty.
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