Reportage international

Réfugiés syriens en Turquie, une cohabitation pacifique

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Dix ans après le déclenchement du conflit en Syrie, plus de 5 millions de Syriens vivent toujours loin de leur pays qu’ils ont dû fuir pour trouver refuge dans un pays voisin ou au-delà. La Turquie se distingue parmi tous les autres : elle accueille à elle seule plus de 3,6 millions de Syriens, de loin le record mondial. Les réfugiés, souvent installés en Turquie depuis de longues années, y ont reconstruit une vie. Ils travaillent, ils ont des enfants qui vont à l’école et s’intègrent, bon an mal an, à la société turque. Alors que les autorités continuent d’affirmer que les Syriens repartiront, la plupart n’en ont pas du tout l’intention. Reportage à Istanbul où vivent plus de 500 000 Syriens.

Des Syriens participent à une manifestation pour marquer le dixième anniversaire du conflit syrien, à Istanbul, en Turquie, le 13 mars 2021. (Photo d'illustration)
Des Syriens participent à une manifestation pour marquer le dixième anniversaire du conflit syrien, à Istanbul, en Turquie, le 13 mars 2021. (Photo d'illustration) REUTERS - MURAD SEZER
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Il y a un peu plus de neuf ans, en décembre 2011, Muhammed entrait en Turquie depuis la province d’Alep, en Syrie. Il avait 23 ans, il était célibataire, il fuyait les combats et pensait revenir vite dans son village de Hawar Kilis. Aujourd'hui, il reçoit dans un appartement d’Istanbul situé au rez-de-chaussée d’un immeuble vétuste, entouré de ses trois enfants et de sa femme, Noura, enceinte du quatrième. Le couple s’est marié en 2013. Il n’est jamais retourné en Syrie.

Muhammed et Noura se décrivent comme « bien intégrés ». D'origine Turkmène, ils parlent le turc, ce qui leur a tout de suite facilité la vie. Muhammed travaille dans le textile. Il est globalement satisfait de sa situation et même reconnaissant. « Pour la santé, par exemple, on n’a vraiment pas à se plaindre, affirme-t-il. Quand j’ai besoin d’un médicament à 100 livres, je n’en paye que 5 ou 10. C’est appréciable, ça montre que la Turquie s’implique, qu’elle se soucie de nous. Et ça me rend heureux. »

Le couple a des amis, des voisins turcs avec lesquels ils parlent de tout et de rien, échangent des vœux lors des fêtes religieuses... Il sait que ce n’est pas le cas de beaucoup de Syriens. Murat Erdogan, directeur du Centre de recherches sur la migration et l’intégration de l’Université turco-allemande d’Istanbul, confirme. Ce spécialiste met en garde contre le risque de communautarisme chez les réfugiés, qui en viendraient à constituer une « société parallèle ».

« Si vous allez dans les régions où les Syriens sont très nombreux, vous constaterez qu'ils vivent dans une sorte "d’entre-soi", explique Murat Erdogan. D'un côté, c’est tout à fait normal. Ils ont créé en Turquie des réseaux de solidarité, des chaînes d’entraide entre migrants, qui les aident à se sentir davantage en sécurité. Mais ce sentiment de sécurité est aussi ce qui les éloigne, voire les isole de la société d’accueil. Et c’est un handicap pour la construction d’une société commune. »

D'un autre côté, la présence massive des Syriens est extrêmement impopulaire dans l’opinion publique. Elle l’est d’autant plus que les Turcs ont pris conscience qu’une grande partie des réfugiés n’avaient pas l’intention de rentrer en Syrie et n’y rentreraient pas – même si le discours officiel continue d’affirmer le contraire. Les Turcs leurs sont hostiles, mais ils sont aussi résignés, constate Murat Erdogan.

« La société turque n’accepte pas les Syriens, mais elle ne leur montre pas vraiment. Elle est mécontente, mais elle ne leur fait pas trop ressentir. Au départ, il y avait beaucoup d’inquiétudes liées aux Syriens… Mais quand ils regardent les dix dernières années, les Turcs ne voient pas vraiment en quoi les Syriens ont pu nuire à leur société. En tout cas, ils n’en ont pas fait l’expérience personnelle », souligne l'expert.

En effet, on ne soulignera jamais assez que depuis tant d’années, la cohabitation entre 83 millions de Turcs et 3,5 millions de Syriens se déroule de façon largement pacifique. Et ce alors que la Turquie leur a non seulement ouvert ses portes, mais aussi ses services publics.

► Reportage à retrouver en intégralité dans l'émission Accents d'Europe du lundi 15 mars 2021.

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