Reportage international

Bangladesh: Ahmad Bin Quasem, huit ans de détention dans la «Maison des miroirs»

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Au Bangladesh, avec la chute de l’ancienne Première ministre, un voile se lève sur 15 années de pouvoir autoritaire. Alors que des opposants et des manifestants sont sortis désormais libérés, d'autres prisonniers politiques sont sortis des geôles secrètes de Sheikh Hasina. Un centre de détention aux méthodes particulièrement répressives. Notre envoyé spécial à Dacca a pu rencontrer un avocat, tout juste sorti de huit années d’incarcération.

Sur cette photographie prise le 9 août 2024, Ahmad Bin Quasem, fils d'une figure du Jamaat-e-islami et avocat, récemment libéré de la prison secrète d'Anyaghar après l'expulsion de Sheikh Hasina, montre une photo vieille de huit ans lors d'un entretien avec l'AFP à Dacca.
Sur cette photographie prise le 9 août 2024, Ahmad Bin Quasem, fils d'une figure du Jamaat-e-islami et avocat, récemment libéré de la prison secrète d'Anyaghar après l'expulsion de Sheikh Hasina, montre une photo vieille de huit ans lors d'un entretien avec l'AFP à Dacca. AFP - INDRANIL MUKHERJEE
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Avec notre correspondant, de retour de Dacca

Le regard marqué par la peur, la démarche incertaine, Ahmad Bin Quasem tient la main de sa mère, comme incrédule de se trouver libre, dans cet appartement de Dacca. Cet homme était l’avocat et le fils d'une figure du Jamaat-e-islami, le principal parti islamique du Bangladesh. Comme toute organisation religieuse, elle est interdite de se présenter aux élections depuis 2013. Mais le 9 août 2016, Ahmad voit ses ennuis avec le régime de Sheikh Hasina prendre une tournure dramatique.

« Un groupe d'hommes habillés en civil m'ont attrapé devant ma femme, ma sœur et mes enfants... En tant qu'avocat, la première chose que j'ai demandée, c'est : "Pourquoi est-ce que vous m'emmenez ? Est-ce que vous avez un mandat d'arrêt à mon nom ?" Ils m'ont dit : "On n’en a pas besoin". »

Une procédure hors de tout cadre légal. Selon Human Rights Watch, près de 600 personnes ont été victimes de disparition forcée durant les mandats de Sheikh Hasina.

« Une fois qu'ils m'ont mis dans la voiture, ils m'ont bandé les yeux et c'était le début de huit douloureuses années d'obscurité. J'étais détenu dans un lieu sans fenêtre, ils ne m'ont pas dit où ils m'ont emmené, quel jour il était, je ne pouvais même pas connaître l'heure ! Je n'avais aucune idée s’il faisait jour ou nuit, j'avais les yeux bandés et j'étais menotté 24 heures sur 24. Je ne pouvais voir aucun visage et parler à personne... Le centre dans lequel j'ai été amené a été spécifiquement conçu pour soumettre le détenu a une expérience pire que la mort. »

Le nom de cette geôle secrète : Anyaghar ou la « Maison des miroirs », car les détenus ne peuvent y voir personne d'autres qu'eux-mêmes. Une prison gérée par les services de renseignement qui, même au moment de relâcher les prisonniers après la chute de Sheikh Hasina, ont pris soin de préserver la culture du secret.

« J'étais en train de faire mes prières du soir, et ils m'ont emmené dans un véhicule. Je me suis préparé au pire. Ils ont conduit une heure, m'ont fait sortir, assoir par terre. Le commandant m'a attrapé par l'arrière du crâne, et m'a dit : "Dis-nous : est-ce que tu sais qui on est ?" J'ai dit non. Il m'a dit : "Est-ce que tu sais où tu as passé les huit dernières années ?" J'ai dit non. Il m'a dit : "Parfait, c'est exactement ce que tu diras aux gens." »

Il estime que la mobilisation de sa famille a joué un rôle clé dans sa libération. « Je suis tellement fier de ma famille, elle n'a jamais abandonné. Ma femme, ma mère, mes enfants ont continué de se battre. Pendant huit ans, elles ont fait exister mon combat. »

Alors que ses filles jouent dans la cuisine en attendant leur père, d'autres Bangladais ne connaissent pas la joie des retrouvailles. Plus de cent personnes manquent encore à l'appel et des familles manifestent encore devant les locaux des services de renseignement.

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