Nouveau tour de vis aux élections locales en Russie: la frondeuse Khabarovsk mise au pas
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Dimanche 8 septembre est le dernier jour de vote pour certaines régions pour renouveler leurs gouverneurs, d’autres désignent en même temps leurs élus locaux. Comme pour le scrutin présidentiel de mars dernier, le résultat général ne fait pas de doutes et devrait voir partout les hommes du président Vladimir Poutine rafler la mise. Surtout que cette fois-ci, même les rares provinces frondeuses sont mises au pas. Exemple à Khabarovsk, une des deux régions les plus à l’est du pays, où notre envoyée spéciale a pu se rendre.

De notre envoyée spéciale à Khabarovsk,
Ce qui s'apparente désormais avant tout à un rituel a des allures particulières dans la région de Khabarovsk, l'une des plus grandes de Russie. Cette région s’étale du nord au sud sur 2 000 kilomètres de distance entre terre, mer, fleuves et îles isolées.
« Nous avons des villages difficiles d'accès, mais nous organisons des sessions de vote anticipé et nous rendons sur place, explique Denis Alexandrovich Kuzmenko, président de la Commission électorale régionale. Nous devons aussi atteindre des stations météorologiques, les éleveurs de rennes, les pêcheurs, les mineurs qui sont dans des endroits isolés. Nous avons un hélicoptère qui peut faire jusqu'à 1 000 kilomètres entre deux villages, et des navires pour accueillir les électeurs le jour du scrutin. »
Emboitant le pas à l’île de Sakhalin et à la Transbaïkalie, pour la première fois, la région a fait aussi voter ses électeurs-soldats dans les régions annexées par la Russie en 2022. Khabarovsk est le siège du district militaire Est.
« Pour organiser ce genre de vote, nous avons déterminé les endroits où nos électeurs sont concentrés par unités militaires, et précisé le nombre de bureaux de vote dont nous aurons besoin. Le vote s'y déroule selon les spécificités définies pour les unités militaires. Nous n'y créons pas de commissions électorales, nous mettons en place des commissions composées de soldats. Il faut noter que certains des combattants dans ces commissions spéciales étaient déjà des membres de nos commissions civiles ici. C’est d’une grande aide, car ils savent comment mener des élections, ils connaissent toutes les procédures. J'ai personnellement voyagé là-bas pour leur création. J'ai pris un avion militaire, emportant avec moi tous les documents électoraux. Et les gars sur place, du commandement de notre quartier général, ont aidé avec les voitures, la sécurité, le transport et l'hébergement. »

Denis Alexandrovich Kuzmenko ne se risque pas à faire un pronostic précis de participation. Lors de la présidentielle de mars dernier, elle a été l’une des plus basses de tout le pays. Et selon la politologue Rada Gaal [son nom a été modifié à sa demande, NDLR], cela ne risque pas de s'arranger cette fois-ci : « En 2019, dans la région de Khabarovsk, le parti du président avait la majorité absolue à tous les échelons locaux, explique cette observatrice avisée de la vie locale. Après les élections, ils se sont retrouvés avec moins de 5 %. C'était à l’origine un vote de protestation. Puis le gouverneur Furgal, qui avait été élu par le peuple, en moins d’un an, a gagné la confiance des votants. Il s'est révélé être très bon, actif, faisant preuve d’empathie avec les gens. Le fait qu'il ait fini par être arrêté dès 2020 et mis en prison a énormément touché émotionnellement toute la région, parce qu'il était le choix du peuple. Des manifestations ont commencé, que j'ai couvertes. Il ne s’agissait pas de renverser le gouvernement, ni de séparatisme. Il s’agissait simplement du droit à pouvoir décider de qui nous dirige sur la base des lois existantes. Ici en Extrême-Orient, nous voulons choisir la personne que nous voulons voir aux commandes. Nous voulons juste pouvoir faire un choix. Mais après trois ou quatre mois, les répressions ont commencé, les forces de l'ordre se sont mises en marche, et les arrestations et détentions ont débuté. Alors aujourd'hui, les gens ont cessé de croire qu'ils peuvent influencer les élections. Ils sont frustrés, désespérés, ils vivent en exil intérieur. »
L’éventail de la répression et de l’intimidation est à la hauteur de ces manifestations de 2020 totalement inédites par leur ampleur et leur durée. Le gouverneur Furgal a été condamné en février 2023 à 22 ans de prison pour avoir commandité deux meurtres et une autre agression entre 2004 et 2005. Ses partisans ont toujours dénoncé l’affaire et le verdict comme politiques.
« Indésirable »
Juste avant l’élection présidentielle de mars dernier, un « mouvement Furgal » a été classé « indésirable ». Il n’y a aucune définition juridique de ce que peut être ce « mouvement » - qui n’existe pas sur le papier. Mais il permet de réprimer toute personne présentée comme y appartenant et de la classer individuellement comme « indésirable ». Les forces de l’ordre ne s’en sont pas privées.
Aujourd’hui encore, de simples citoyens font des séjours réguliers en prison et, dans cette région à la réputation rebelle, il est même devenu plus délicat qu’ailleurs en Russie de rencontrer des personnalités un tant soit peu critiques. Rien n’a été négligé pour faire passer le message du pouvoir, jusqu’au plus petit symbole : « Ils ont en quelque sorte aussi voulu humilier les électeurs en retirant le statut de capitale de l'Extrême-Orient à Khabarovsk pour le donner à Vladivostok, juste pour nous punir comme de vilains petits enfants pour le choix que nous avons fait », juge la politologue Rada Gaal.
À Khabarovsk, le climat est aujourd'hui décrit comme pesant. « L'atmosphère en ville, c'est celle d'une campagne totale et massive pour "Russie unie", le parti du président, décrit un membre d’une commission électorale de la région, ayant, lui aussi, demandé à ce que l’anonymat lui soit impérativement garanti. Dans chaque cour, presque sur chaque panneau d'affichage, sur chaque arrêt de bus, tout l'espace est occupé par la publicité pour "Russie unie". La publicité pour les autres existe, mais elle n’est pas vraiment visible. "Russie unie" a cette année un budget énorme et il n'y a pas d'égalité pour les candidats. Pourquoi "Russie unie" dépense-t-elle autant d'argent ? Ils sentent qu'ils ne contrôlent pas complètement la situation. »
À en croire cet activiste, la région concentre « beaucoup de problèmes », dont le plus évident est « l’opération militaire spéciale que certaines personnes ne soutiennent pas. Mais comme dire à haute voix votre désapprobation peut entraîner une punition, les gens ont peur de le dire ».

Cet activiste en est certain : il n'y aura en tout cas pas de tentation ce dimanche d'afficher un meilleur score qu’à la présidentielle pour le candidat du pouvoir. Pas question que le gouverneur apparaisse plus populaire que le chef de l'État.
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