Thaïlande: l'industrie et les consommateurs face à la fin du cannabis récréatif
Publié le :
Il y a trois ans, la Thaïlande était le premier pays d'Asie à retirer le cannabis de la liste des stupéfiants. Mais depuis le 1er juillet, le royaume a fait marche arrière. Fini, l'usage récréatif, retour à une consommation strictement médicale. Un coup dur pour une industrie qui a généré 1 milliard de dollars l'an dernier. Entre flou administratif et inquiétude, les producteurs, les vendeurs et les consommateurs tentent de s'adapter. Reportage Juliette Chaignon à Chiang Mai et Bangkok.

Il y a trois ans, Aeon était comptable dans le nord de la Thaïlande et n'avait jamais consommé de cannabis. Mais la légalisation et un marché en plein essor l'ont séduite. Aeon a investi alors 150 000 euros dans une plantation et six magasins : « Au début, j'ai pensé pouvoir gagner de l'argent. J'ai fait des prêts à la banque. »
Jusqu'ici, les règles étaient simples pour les plus de 10 000 magasins sous licence : des fleurs de cannabis en vente libre, sauf pour les étudiants, les moins de 20 ans et les femmes enceintes, interdiction de fumer dans les lieux publics et tenue d'un registre des achats et ventes du mois. Mais depuis le 1er juillet 2025, un nouveau décret inquiète les vendeurs : les clients doivent présenter une ordonnance médicale pour acheter.
« Je suis inquiète, car j'ai déjà trop investi et la vente sera plus difficile. Les clients ont peur d'acheter maintenant, ils ont peur de la police. Et j'ai peur de devoir licencier mes employés », raconte Aeon. Depuis l'entrée en vigueur des nouvelles règles, quelques dizaines de magasins ont été sanctionnés. Certaines boutiques, elles, n'ont rien changé. Elles misent sur le flou des autorités, qui n'ont pas encore détaillé comment concrètement appliquer la loi.
À lire aussiThaïlande: intervention de la police lors d'une grande «soirée drogue»
Dans ce magasin de Chiang Mai, Jackson et Rayan, deux touristes, viennent d'acheter un sachet d'herbe. Ils roulent leur joint sur la terrasse. « Je n'ai pas eu besoin de prescription pour acheter. C'est un peu confus. Tu viens d'acheter ça... C'était combien ? », demande l'un. « Six euros pour 3 grammes », répond l'autre. « C'est aussi simple que d'acheter de la bière », s'amuse le premier.
Dans une autre boutique, Travis, un gérant californien installé en Thaïlande, a lui choisi de s'adapter : « J'ai des contacts de médecins, ce qui permettra aux clients d'avoir une ordonnance et de continuer à profiter du cannabis. » Pour lui, une régulation plus stricte en Thaïlande était nécessaire : « C'est un peu le Far West jusqu'ici. Et la surproduction entraîne une baisse de la qualité. »
Officiellement, la Thaïlande a restreint l'accès au cannabis pour protéger la santé des plus jeunes et pour éviter le trafic. L'an dernier, plus de 800 voyageurs ont été arrêtés et accusés de transporter de l'herbe. Des justifications opportunistes d'après Chokwan Kitty Chopaka, militante pro-cannabis : « Ce sont des manœuvres politiques. Tant que nous n'aurons pas une loi spécifique sur le cannabis, n'importe quel gouvernement pourra imposer ce qu'il veut. »
Le gouvernement dit aussi vouloir re-criminaliser le cannabis. Une mauvaise solution, d'après Kitty : « En Thaïlande, il y a toujours moyen de contourner la loi. Sinon, notre industrie du sexe n'existerait pas. Est-ce une bonne chose ? Pas vraiment, car le cannabis risque de se retrouver dans une zone grise. » Face à l'incertitude et une forte concurrence, Kitty a déjà fermé son magasin. Elle craint de voir des centaines de vendeurs de cannabis faire de même en Thaïlande.
À lire aussiThaïlande: la légalisation du cannabis, une manière de renouer avec la culture locale
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne