Revue de presse internationale

À la Une: Mikhaïl Gorbatchev, un «Européen qui parlait la même langue que le reste du monde»

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Mikhaïl Gorbatchev à Moscou, le 7 novembre 1989.
Mikhaïl Gorbatchev à Moscou, le 7 novembre 1989. © AP / Boris Yurchenko
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Jusqu'à son dernier souffle, l'ancien secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique, décédé mardi 30 août à l'âge de 91 ans des suites d'une longue maladie, aura « vécu une double réalité », constate le Guardian : « Aimé, célébré à Washington, Paris et Londres mais injurié par une large partie des Russes ». Avec des reproches de deux ordres : pour certains, sa politique de réforme et d'ouverture est surtout concomitante à une baisse drastique du niveau de vie. Pour d'autres, la « perestroïka » et la « glasnost » sont synonymes de la chute d'un empire auquel ils croyaient profondément.

« La vieille sagesse dit que la route de l'enfer est pavée de bonnes intentions », avance RIA Novosti, l'une des agences de presse officielles russes, qui poursuit ainsi sa nécrologie : « Le destin historique de Mikhaïl Gorbatchev est une leçon pour tous les hommes d'État. Peu importe que vous ayez voulu sincèrement faire quelque chose de bien ou que vous ayez été guidé par des idéaux élevés. En fin de compte, seuls les résultats réels de vos décisions et de vos actions comptent ». Et ces résultats, selon RIA Novosti, sont la « catastrophe nationale » que fut l'effondrement en 1991 de l'URSS.

« Merci Mikhaïl Gorbatchev »

Au contraire, pour la presse critique du Kremlin, sans Gorbatchev, « une Russie moderne n'aurait guère été possible ». C'est ce que martèle Kommersant, qui salue la mémoire du « seul dirigeant soviétique à n'avoir pas quitté le pouvoir les pieds devant », c'est-à-dire dans un cercueil.

« Il était un Européen qui parlait la même langue que le reste du monde. Il était facile pour lui de briser les murs », s'enflamme Novaïa Gazeta Europe, journal interdit de diffusion désormais en Russie, et dont le journaliste se rappelle cette « manifestation le 4 mars 1990, lorsque 200 000 personnes se sont rassemblées juste sous les murs du Kremlin. [...] Ils n'ont pas été mis dans des fourgons de police, ils n'ont pas été déclarés révolutionnaires, le KGB n'a pas ouvert un dossier [...] contre eux, ils n'ont pas été fouillés à six heures du matin, ils n'ont pas été licenciés ».

« Merci Mikhaïl Gorbatchev », dit de son côté un ancien prisonnier politique soviétique. Natan Sharansky prend la plume dans le Washington Post. Il fut le premier libéré en 1986 par le dirigeant de l'URSS. À l'époque, il a refusé de remercier publiquement le leader communiste. « Il y avait encore trop de chemin à parcourir vers la liberté », dit-il. Il le remerciera plus tard, en face-à-face... Et aujourd'hui, au lendemain de son décès, Natan Sharansky le clame : Gorbatchev est « totalement unique ». « Produit du régime soviétique, membre de son élite dirigeante qui croyait en son idéologie et jouissait de ses privilèges mais qui a néanmoins décidé de le détruire. Pour cela, le monde peut être reconnaissant », conclut l'ancien dissident soviétique.

« Gorbatchev a insufflé l'optimisme et a montré que la politique pouvait être exercée d'une manière différente, avec une autre vision de la réalité », s'exclame l'ancienne correspondante en URSS d'El País, dans les colonnes du quotidien espagnol. « Il croyait en une politique à visage humain et voulait rendre le monde plus sûr. Rien ne peut lui être plus étranger que la violence. C'est pourquoi, en décembre 1991, le président de l'Union soviétique de l'époque a refusé d'utiliser l'armée pour maintenir l'unité de l'empire-État qui s'effondrait », relate Pilar Bonet.

Vu de Berlin, « l'homme qui a frappé aux portes de l'Histoire »

« Gorbi, Gorbi »... « Il y avait du changement dans l'air » ce jour de juin 1989 sur la place de la mairie de Bonn, raconte Die Welt. La capitale de l'Allemagne de l'Ouest de l'époque accueille le « visage du Kremlin ». Ce « n'était plus celui d'un vieux fonctionnaire comme Leonid Brejnev ou Konstantin Tchernenko, avec leur langage sans émotion et plein de formules toutes faites. C'était un jeune homme politique, humain et ouvert ». Quelques mois plus tard, le mur de Berlin tombait, la réunification de l'Allemagne était en marche.

Mikhaïl Gorbatchev est au contraire « une figure tragique » qui a « commis de graves erreurs », sermonne le Global Times, à Pékin. L'une des voix du Parti communiste chinois critique, sous le couvert d'interviews avec des experts, les conséquences de l'action du dernier dirigeant de l'URSS. « Un homme naïf et immature », admoneste le Global Times. Gorbatchev « a été trompé par l'Occident » et la Chine a des leçons à tirer de cette expérience, car c'est bien ce qui préoccupe le régime de XI Jinping.

Un héritage qui fait écho avec la guerre en Ukraine

Cette expérience de la fin des années 1980 et du début des années 1990, c'est aussi ce qui préoccupe le Kremlin. Et la guerre actuelle en Ukraine fait partie de la bataille que livre Vladimir Poutine pour défaire l'héritage de Mikhaïl Sergueïvitch Gorbatchevsouffle le New York Times. L'agence RIA Novosti affirme effectivement que « la transformation de l'Ukraine en un bastion nazi montre que le cycle infernal mis en branle il y a plus de trente ans est toujours en mouvement. La Russie doit, est obligée de l'arrêter, et elle le fera ».

Avec la guerre en Ukraine, « la société russe d'aujourd'hui a appris en quelques mois à qualifier la guerre d'"opération spéciale" », soupire Novaïa Gazeta Europe. « En 2022, on peut donc imaginer l'explosion que représente à l'époque la glasnost de Gorbatchev après plusieurs décennies d'hypocrisie et de mensonges », conclut le journal russe d'opposition, comme pour mieux souligner la place, à part, de Gorbi dans l'Histoire.

« Gorbatchev a soutenu les manifestants de Biélorussie et les militants des droits de l'homme de Memorial », se remémore le journal contestataire Meduza, qui poursuit : « Gorbatchev n'a pas commenté la guerre totale de la Russie avec l'Ukraine », mais son ami, le journaliste Alexeï Venediktov, a déclaré qu'il était contre la guerre : « Il ne s'est pas exprimé publiquement. Je peux vous dire qu'il est bouleversé. Naturellement, il comprend. C'était l'œuvre de sa vie. La liberté est l'affaire de Gorbatchev ».

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