À la Une: l’Union européenne est orpheline
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« Le père de l’Europe » est mort, écrit Le Soir : Jacques Delors s’est éteint mercredi 27 décembre, chez lui à Paris, à l’âge de 98 ans. Et ce jeudi matin, tous les journaux européens rendent hommage à celui qui est, pour certains, « l’architecte » de l’Europe, pour d’autres son « bâtisseur » – dans tous les cas, celui qui a construit de ses idées le projet européen. Un homme discret, pour qui « le glamour n’a jamais été important » se souvient la Sueddeutsche Zeitung. Un homme qui se distinguait par son « élan » autant que sa « modestie » estime Le Soir, « sans chichis » ajoute encore El Pais.
Quelques pages plus loin, le journal espagnol affirme sans ambages qu’« aucune personnalité n’est autant associée que la sienne à la présidence de la Commission » qu’il a emmenée pendant dix ans.
Un héritage imposant
En fait, sans « ce petit homme presque discret, l’euro n’existerait pas aujourd’hui », assène le Sueddeutsche Zeitung, « et peut-être même pas le marché intérieur ». Car malgré sa modestie, Jacques Delors était animé, « désireux de changer le cours des choses », croit savoir Le Temps.
De tout son parcours – employé de la Banque de France, député européen, ministre de l’Économie et des Finances –, c'est bien son « long mandat » auprès de la Commission européenne qui marque le plus les esprits. Une décennie parmi « les plus fertiles de l’Europe » salue Le Soir, ponctuée par « le temps du marché unique, du traité de Maastricht, de l’Union économique et monétaire, de la charte sociale, du programme Erasmus ». Et comme si cela ne suffisait pas, c’est aussi, ajoute le journal belge, « le temps de l’élargissement » (Portugal, Espagne, Autriche, Finlande, Suède). Et puis, « le temps de la réunification allemande » ; le temps, enfin, « des prémices de l’euro ».
Un personnage ne faisant pas l’unanimité
Et particulièrement pas en Grande-Bretagne où, se souvient le Guardian, « Delors s’est régulièrement pris le bec avec la Première ministre d’alors, Margaret Thatcher ». Au point de devenir « le croquemitaine en chef des eurosceptiques britanniques », jusqu’à ce coup d’éclat du Sun, dont se souvient le journal britannique : « Ce sont ces relations qui ont conduit le tabloïd à titrer en Une, en 1990, "Delors, va te faire voir". » Rétrospectivement, estime le Guardian, c’était « un avant-goût de ce qui se produirait 25 ans plus tard durant la campagne pour le Brexit ».
En France non plus, Jacques Delors ne faisait pas l’unanimité : « Vous n’êtes pas assez à gauche pour le Parti socialiste », lui aurait dit l’ancien président François Mitterrand, rappelle ainsi Libération. Jacques Delors a, en effet, « perdu de nombreux amis à gauche » avec ses politiques d’austérité au début des années 1980. Mais tout est affaire de points de vue, puisque Le Figaro considère au contraire que Delors était un « géant de la gauche française ».
En France, l’histoire d’une succession de loupés
D’abord, Jacques Delors n’a jamais été Premier ministre. Il y a eu aussi ces bras de fer fréquents avec son propre camp, lui qui, selon Le Temps, « incarne sans états d’âme la rigueur ».
Et surtout, il y a ce que le journal suisse, mais aussi Le Soir, qualifient de « rendez-vous manqué » : son renoncement à la présidentielle de 1995. À l’époque, se souvient Libé, il rentre en France, « auréolé de son bilan à Bruxelles » et « est vu comme le seul, à gauche, à avoir une stature d’homme d’État ». En ce 11 décembre 1994, raconte Le Soir, « le pays entier est suspendu à la télévision », dans l’attente de l’évidence : l’officialisation de la candidature de Jacques Delors. Et pourtant : « C’est la douche froide. Le candidat pressenti renonce. Et c’est irrévocable. »
Car en réalité, croit savoir le journal belge, « de [la] gauche, il sait pertinemment qu’il n’est que le candidat par défaut, lui dont le programme n’est pas alors franchement celui défendu par les socialistes ». Car Jacques Delors voulait apurer les finances publiques, brutalement s’il le fallait. Et puis, peut-être, interprète Le Temps, Jacques Delors était-il « l’homme qui craignait de se salir les mains ».
C’est à partir de ce moment-là que, à l’aube de ses 70 ans, il se retire peu à peu dans l’ombre, collabore avec l’Unesco, crée son think tank. Avec le temps, reconnaît le Sueddeutsche Zeitung, « son influence a diminué ». Cela n’interdit pas au journal allemand de rendre ce dernier hommage : « Merci, monsieur Euro. »
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