La Corée du Nord, premier fournisseur de munitions à la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine
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Les renseignements ukrainiens et américains estiment à 12 000 le nombre de Nord-Coréens partis se battre aux côtés de la Russie dans la région de Koursk. Un chiffre qui pourrait grimper. En revanche, donner une estimation de la quantité de munitions livrée par Pyongyang est un exercice périlleux, auquel se sont livrés différents centres de recherche.

« Les munitions nord-coréennes ont fourni une bouée de sauvetage à l’armée russe », la conclusion d'Alessio Armenzoni, chercheur à l’Open Source Center (OSC) est sans appel. Une analyse conjointe du centre de recherche britannique et de l’agence de presse Reuters intitulée, « Frères d’armes, estimer les livraisons d’armes nord-coréennes à la Russie », a permis d'établir une échelle de l’artillerie qui circule entre Pyongyang et Moscou depuis l’été 2023.
Plus de 15 000 conteneurs auraient permis de livrer entre 4,2 et 5,8 millions de munitions. Des chiffres obtenus après l’analyse de centaines d’images satellites et en se concentrant sur les trajets effectués par quatre cargos nord-coréens (Angara, Lady R, Maria et Maia-1) entre les ports de Rajin et les installations portuaires russes d'Extrême-Orient. « Notre estimation est très conservatrice, précise le chercheur italien, car nous n’avons pas pris en compte le transport ferroviaire, un élément important dans le dispositif de livraison d’artillerie nord-coréenne ». À cela s'ajoutent les conditions météorologiques pouvant brouiller les images satellites et rendre invisible un transfert de conteneurs.
750 conteneurs par mois
S'il est impossible d’obtenir un chiffre précis, la méthodologie de l’OSC offre certaines garanties. En s’appuyant sur des renseignements ukrainiens, tirés d’observation du terrain, ils ont estimé la répartition probable du type d’armes livrées par la Corée du Nord : 60% d’obus d’artillerie de 122 mm, 25% de 152 mm et 15% de roquettes 122mm. À cela, il faudrait ajouter une quantité marginale de missiles balistiques (notamment KN 23) retrouvés sur le terrain. Les images satellites ont ensuite permis de calculer le nombre de conteneurs envoyés, leur taille, et la capacité volumétrique de chacun pour obtenir une estimation en fourchette basse. Un flux constant d’environ 750 conteneurs par mois, essentiel pour soutenir la guerre de haute intensité pratiquée par Moscou. Sur l’année 2024, la Russie aurait utilisé cinq fois plus d’artillerie que l’Ukraine en moyenne.
« Les livraisons nord-coréennes ont permis à l’armée russe de soutenir sa cadence de tir très élevée, estime Alessio Armenzoni. Certaines unités sur le front utilisent entre 40 et 60% de munitions venues de Pyongyang ». Et la qualité de l’armement fourni par Kim Jong-un se serait sensiblement améliorée après plusieurs rapports faisant état de munitions défectueuses lors des premières livraisons. « Les Russes ont sûrement dit, améliorez la qualité de l’artillerie que vous nous livrez ou nous n’en voulons pas, suppose Joseph Bermudez, chercheur au CSIS (Center for Strategic and International Studies, think tank américain). Les premières livraisons provenaient aussi surement de stocks assez anciens ». Mais c’est plus par la quantité de production que par sa qualité que se distingue l’appareil de production nord-coréen. « La différence entre ce que la Corée du Nord a envoyé à la Russie et ce que l’Occident avec son complexe militaro-industriel est parvenu à envoyer à l’Ukraine est particulièrement préoccupante », s'alarme Alessio Armenzoni, rappelant que les quatre millions de munitions nord-coréennes pèsent lourd face aux quelque 500 000 obus d’artillerie livrés par le Royaume-Uni depuis 2022.
L’armée d’abord
Alors comment la Corée du Nord et son économie criblée de sanctions est-elle en mesure d’atteindre une telle capacité de production ? La doctrine Songun, « l’armée d’abord », mentionnée pour la première fois en 1989 avant de s’inscrire dans la constitution du pays en 2009 a établi des stocks importants et une base industrielle militaire solide. Mais depuis les accords avec la Russie, les usines fonctionnent à pleine capacité, selon Séoul qui estime qu’environ 200 usines d’armement fonctionnent à plein régime. « Nous entendons dire que les usines de munitions nord-coréennes fonctionnent 24h sur 24 », pointe Joseph Bermudez. Kim Jong-un a effectué plusieurs visites dans les usines d’armements, en plaidant pour une augmentation de la productivité et de la production.
Pyongyang semble au rendez-vous d’un défi qui pourrait s’avérer très lucratif, car le pays ne met pas gratuitement son appareil industriel au service de l’effort de guerre russe. Une étude du centre d’analyse de la défense, affilié au gouvernement sud-coréen estime que la coopération avec Moscou aurait rapporté près de 18 milliards d’euros à l’économie nord-coréenne. En additionnant les livraisons d’armes aux salaires supposés des hommes de Kim envoyés se battre à Koursk (2000 dollars par mois selon l’étude), on obtient ce chiffre assez proche des estimations de la banque centrale sud-coréenne du PIB nord-coréens en 2023 : 20,5 milliards d’euros. Mais la rétribution n’est certainement pas seulement en espèce sonnante et trébuchante. « La Corée du Nord veut évidemment de l'argent de la Russie. Mais aussi des produits pétroliers, et encore davantage un meilleur accès à la technologie, non seulement militaire, mais aussi industrielle », assure Joseph Bermudez. Des analyses satellites notamment du CSIS mais aussi de l’OCS ont établi des transferts importants de pétroles venus de Russie, « plus d’un million de barils, soit deux fois plus que la limite d’importation fixée par les sanctions de l’ONU » pointe Alessio Armenzoni.
« Culture d’autonomie »
Malgré des éléments tangibles, le plus grand flou règne sur la réelle étendue de la coopération qui lie les deux pays depuis la rencontre en grande pompe entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un au cosmodrome de Vostotchny dans l’Extrême-Orient russe en septembre 2023. « Quand on parle de la Corée du Nord, de ses capacités d'armements, de sa technologie, tout le monde veut voir la main de la Russie partout, pondère Joseph Bermudez. Mais la culture d’autonomie reste très forte dans le pays et la mentalité est différente sur les innovations. La Corée du Nord veut une technologie appropriée acceptable et utile pas nécessairement parfaite ». Quelle que soit sa nature, la rétribution russe devrait continuer d’affluer dans des quantités importantes, tout comme les armes nord-coréennes. Une récente analyse satellite atteste de l’avancée d’un pont routier reliant les villes de Tumangang et de Khasan à la frontière. Après le fret maritime et ferroviaire, le fret routier aussi s’améliore au profit du lien entre les « frères d’armes ».
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