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Corée du Sud: quelle politique étrangère pour le nouveau président Lee Jae-myung?

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Après six mois de chaos politique engendré par la proclamation de la loi martiale en décembre, la Corée du Sud retrouve un semblant de stabilité. Élu Président, Lee Jae-myung dispose d’une large majorité au Parlement. Le démocrate a les mains libres pour apaiser le pays et tenter de relancer l’économie. Mais dans le domaine des affaires étrangères, plane une incertitude sur ses intentions alors qu’il prône une rupture claire avec la politique de son prédécesseur, Yoon Suk-yeol.

Le président sud-coréen Lee Jae-myung s'exprime lors d'une conférence de presse au bureau présidentiel à Séoul, en Corée du Sud, le mercredi 4 juin 2025.
Le président sud-coréen Lee Jae-myung s'exprime lors d'une conférence de presse au bureau présidentiel à Séoul, en Corée du Sud, le mercredi 4 juin 2025. via REUTERS - Ahn Young-joon
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Avec notre correspondant à SéoulNicolas Rocca

Contesté au sein de son propre camp, minoritaire au Parlement, le sulfureux Yoon Suk-yeol n’est pas parvenu à marquer l’histoire de son pays par ses réformes. Si cette nuit surréaliste du 3 au 4 décembre où le Président conservateur déchu a proclamé la loi martiale va marquer à jamais la Corée du sud, son principal héritage restera les affaires étrangères.

Fini le dialogue avec Pyongyang et la ligne mesurée entre le principal partenaire économique chinois et l’allié militaire américain. En faucon assumé, Yoon Suk-yeol a mis de côté les différents historiques qui polluent les relations entre Séoul et Tokyo, exauçant ainsi un vieux rêve américain : celui de voir ses deux principaux alliés dans la région se rapprocher. Un avantage stratégique pour le Pentagone dans son bras de fer à distance avec la Chine. Sur la Corée du Nord, il prônait la paix par la force : une réponse à chaque manœuvre nord-coréenne, l’intensification des exercices militaires avec les États-Unis au bord de la frontière et une rhétorique guerrière. Lee Jae-myung a longtemps été à l’opposé de cette stratégie avec laquelle il devrait rompre en partie. Étiqueté “gauchiste” dans une très conservatrice Corée, le nouveau Président a lissé son image durant la campagne pour se poser en rassembleur pragmatique. Un changement qui laisse planer le doute sur ses intentions à l’internationale.

Alliance trilatérale

Trop « soumis » au Japon et trop « antagoniste » avec la Chine. Voici comment Lee Jae-myung résume sa vision du mandat de Yoon Suk-yeol dans le domaine diplomatique. L’ancien ouvrier a longtemps été particulièrement vocal contre le Japon, demandant de nouvelles excuses et réparations du gouvernement nippon pour les crimes commis durant la colonisation. Une thématique mobilisatrice dans l’opinion publique ou le sentiment anti japonais reste populaire. Allié au révisionnisme historique des ultra-conservateurs au pouvoir à Tokyo, cela a rendu durant de longues années les relations inflammables entre les deux voisins aux intérêts sécuritaires pourtant convergents. Lors de son discours d'investiture, Lee Jae-myung s’est voulu rassurant à l’égard du Japon qui scrute avec attention ses premières sorties. “Sur la base d'une alliance solide entre la Corée du Sud et les États-Unis, je vais renforcer l'alliance trilatérale entre nos deux pays et le Japon.” Idem sur les questions mémorielles et le différend qui oppose Séoul et Tokyo autour de Dokdo, un ilot entre les deux pays, contrôlé par la Corée du Sud, mais revendiqué par le Japon. “si les deux voisins sont en conflit en raison de leurs contentieux mémoriel et territorial, ils pourront trouver ce qui pourra leur être mutuellement bénéfique dans les domaines économique, sécuritaire, technologique, culturel et éducatif ». Difficile pour Lee Jae-myung de détricoter l’axe Séoul, Tokyo, Washington alors que les tensions avec Pékin et Pyongyang s’intensifient et que des soldats nord-coréens se battent à côté des troupes russes en Ukraine. D’autant que faire ressurgir les différents historiques pourrait agacer le protecteur américain avec qui les relations pourraient déjà être compliquées. La présence de 28.000 soldats de l’oncle Sam sur le sol sud-coréen génère des désaccords profonds entre les deux pays. Donald Trump demande sans cesse à ses alliés de payer plus pour leur défense, et le Wall Street Journal affirme que plus de 4.500 de ces hommes pourraient quitter la péninsule pour l’île de Guam.

 Chine

Autre possible point de tension avec le protecteur américain, la volonté du nouvel homme fort à Séoul de réchauffer des liens distendus avec Pékin, dans la cadre d’une politique étrangère qu’il qualifie de “pragmatique". « Je vais élargir l'horizon de notre diplomatie, renforcer le statut de notre pays afin que nous puissions étendre notre influence économique ». Un numéro d’équilibriste particulièrement précaire alors que se profile des discussions sur la guerre commerciale avec les États-Unis. Sur Taïwan aussi, la position de Lee Jae-myung pourrait froisser Donald Trump. “Pourquoi cela devrait nous concerner si la Chine et Taiwan se lance dans un conflit ?” avait lancé haranguant la foule le candidat durant la campagne, prônant la possibilité de préserver de bonnes relations avec Pékin et Taipei. Une sortie à des années lumières des menaces proférées par Pete Hegseth, chef du Pentagone, lors du Shangri La dialogue à Singapour la semaine dernière. « Toute tentative par la Chine Communiste de conquérir Taiwan par la force aurait des conséquences désastreuses » avait-il assuré devant les ministres de la Défense de la région, jugeant ce scénario possiblement imminent tout en prévenant que le Président Trump ne resterait pas les bras croisés face à cette possibilité. La volonté du Président sud-coréen de préserver de bonnes relations avec Xi Jinping ressemble à une mission difficilement conciliable avec l’ère du temps et le sentiment anti chinois très répandu au sein de l’administration américaine tout comme dans l’opinion publique sud-coréenne.

Dialogue avec la Corée du Nord

Obstacle dans ses relations avec Pékin, Donald Trump pourrait en revanche être un atout sur le dossier nord-coréen à en croire le camp démocrate. Le Parti défend l’idée d’un prix Nobel pour le locataire de la Maison Blanche s’il parvient à faire aboutir des négociations avec Kim Jong-un, établissant ainsi une paix durable sur la péninsule officiellement toujours en guerre depuis 1950. Face à ce vestige de la guerre froide, Lee Jae-myung espère relancer le dialogue sans pour autant désarmer le pays. « Nous répondrons aux menaces nucléaires de la Corée du Nord et à ses provocations militaires avec un budget de la défense représentant deux fois leur PIB, grâce à la cinquième puissance militaire mondiale et une dissuasion puissante qui s'inscrite dans notre alliance avec les États-Unis, mais nous allons aussi ouvrir une fenêtre de dialogue avec la Corée du Nord » a lancé Lee Jae Myung. Une politique militaire réaliste, sans les provocations et sorties belliqueuse de son prédécesseur. Mais les liens cela ressemble plus à un vœu pieux qu’une option sérieuse. Comment lancer des discussions avec tous les acteurs de la guerre de Corée (Chine, Russie, Corée du Nord, Corée du Sud, États-Unis) alors que les hommes de Kim Jong-un combattent face à l’Ukraine ? Peut-on imaginer un retour à la table des négociations entre Séoul et Pyongyang alors que le dirigeant nord-coréen a officiellement désigné le Sud comme l’ennemi numéro un de son pays ? Et puis l’objectif  « d’atteindre la dénucléarisation de la péninsule » a-t-il encore un sens alors que l’arsenal nucléaire de Kim Jong-un ne cesse de grandir et de se diversifier, potentiellement renforcé ses derniers mois par l’aide technologique russe ?

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