Reine de la nuit, des cabarets et des salles de concert où elle se produisait encore à 83 ans, deux jours avant sa mort, cette chanteuse et autrice compositrice disait que les chansons venaient dans sa tête la nuit pour la « piquer comme des abeilles ». Analphabète, Cheikha Rimitti en écrivit pourtant plus de 200 et rendit populaire et moderne le raï. Un courant musical qui, grâce à elle, (dont se réclament les stars de cette musique) allait déferler dans le monde entier à partir des années quatre-vingt.
Cheikha Rimitti, c’est l’étoile bédouine. Elle se définissait comme la «djidra» la racine du raï. Un courant musical algérien, festif et contestataire, qui a déferlé sur la France et le Maghreb à partir du milieu du XXè siècle avant de partir à la conquête du monde dans les années 90. Cheikha Rimitti, musicienne au tempérament de feu, en est bien l’une des pionnières. D’où un autre surnom «la mamie –et parfois la mère-du raï» qui lui a été donné à la fin de sa vie, par les «cheb», les chanteurs de raï, qui se revendiquent volontiers ses héritiers dans cette musique qui existait déjà, un peu avant elle. Mais à laquelle Cheikha Rimitti a donné une nouvelle direction, faite de fusion très forte, entre plusieurs genres musicaux, pour créer le raï moderne.
Et une orientation politique, féminine et très féministe, à travers les textes des chansons qu’elle écrit. Elles abordent les tabous absolus de la société algérienne : la virginité, l’alcool, l’adultère, le sexe et même l’infanticide. Mais qui est-elle, cette icône provocante boudée par l’Algérie officielle ? Au point qu’elle ne put jamais vraiment se produire dans une salle de concert de son pays.
On la connaît un peu intemporelle. Une soixantaine d’années. Une dame d’âge mûr. Ses longs cheveux de jais tombent jusqu’à ses reins. Regard profond. Sourire mutin quand elle danse en roulant des hanches. Vêtue de longues robes, souvent blanches, ceinte de broderies, paillettes et dentelles. Les mains couvertes de henné cuivré, le corps scintillant de bijoux qui tintent quand elle danse. Une artiste qui collabore aussi bien avec les Red Hot Chili Peppers qu’avec les Dead Kennedys, qui s’amuse à parer son raï de rock ou de musique électro. Celle dont se réclament les cheb (les jeunes) de cette musique, qui, comme elle, virent leur carrière en France décoller à la fin des années quatre-vingt.
Mais la cheikha «la maîtresse» du raï est née dans un contexte difficile, en pleine Algérie coloniale, le 8 mars 1923, à Tessala, près de Sidi Bel-Abbès, en Oranie. On surnomme cette région «le berceau du raï» car ce courant musical a pris sa source dans trois de ses villes : Oran, Tlemcen et Sidi Bel Abbès, où naquirent aussi de nombreux musiciens.
Avec Marie Virolle, anthropologue et autrice de La chanson raï - de l'Algérie profonde à la scène internationale (éditions Karthala), l’éditeur et musicien Karim Chikh, le « Prince du raï 2.0 » Sofiane Saïdi, la chanteuse et poétesse Nawel Ben Kraïem et Naïma Hubert-Yahi, historienne spécialiste de l’immigration maghrébine et commissaire de l’exposition Ya Rayi ! Une histoire de la musique raï.
Pour aller plus loin :
- La chanson raï - de l'Algérie profonde à la scène internationale, Marie Virolle, éditions Karthala
- Raï is not dead, documentaire réalisé par Hadj Sameer, disponible sur le site de Arte.
En images
Programmation musicale :
- Cheikha Rimitti Dour el Ouaran
- Cheikha Rimitti, Charrag Ghatta (Déchire et déchiquète)
- Cheikha Rimitti, Shab el baroud (Les Compagnons de la poudre)
- Les Héritières, Hommage à Cheikha Rimitti.
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