Chemins d'écriture

Remonter aux sources de l’imaginaire africain-américain avec Ta-Nehisi Coates

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Intellectuel américain, connu pour ses analyses radicales de la condition noire aux États-Unis, Ta-Nehisi Coates revient dans l’actualité avec la publication en traduction française de son tout premier roman, La Danse de l’eau (premier volet).

Journaliste, essayiste, Ta-Nehisi Coates est aussi romancier. Il est l'auteur de « La danse de l'eau » qui vient de paraître en traduction français, aux éditions Fayard..
Journaliste, essayiste, Ta-Nehisi Coates est aussi romancier. Il est l'auteur de « La danse de l'eau » qui vient de paraître en traduction français, aux éditions Fayard.. © Gabriella Demczuk
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On ne présente plus Ta-Nehisi Coates. Journaliste et essayiste, l’Américain s’est fait connaître en publiant, en 2015, Between The World and Me, un essai puissant sous la forme d’une lettre adressée à son fils, portant sur la question de la race et ce qu’être Noir veut dire aux États-Unis aujourd’hui. Ce livre, qui a remporté le prestigieux National Book Award, est disponible en français sous le titre Une colère noire (Autrement, 2016).

Auteur de plusieurs autres essais, dont un recueil de textes sur les années Obama, l’essayiste a fait sensation dans le monde littéraire américain en publiant il y a deux ans un roman très littéraire, entre fresque historique et road-novel fantastique, qui paraît en France cette rentrée sous le titre La Danse de l’eau.

Héritier de James Baldwin

Ta-Nehisi Coates est un écrivain majeur. La vigueur et l’originalité de sa réflexion sur la race aux États-Unis lui ont valu d’être comparé à James Baldwin. À l’occasion de la parution de son roman, il devait venir en France pour rencontrer ses lecteurs, puis partir en tournée en Afrique. C’était sans compter avec la pandémie et son impact incalculable sur les déplacements intercontinentaux. Aussi, la campagne de lancement de La Danse de l’eau a-t-elle dû être annulée, au grand désespoir de l’auteur. Coates, qui a vécu en France, a souvent déclaré son amour pour la langue de Molière. Interviewé par téléphone, il dit aussi combien il regrettait de ne pas pouvoir venir en France, ni se rendre en Afrique, continent ancestral avec lequel les Africains-Américains entretiennent un rapport si viscéral.

« De toute ma vie, se lamente le romancier, je n’ai jamais mis les pieds en Afrique. J’étais donc particulièrement impatient de saisir cette opportunité d’aller à la rencontre de mes lecteurs du Sénégal et de Côte d’Ivoire, les deux pays où il était prévu que j’aille pour le lancement de mon roman. L’idée de découvrir enfin Dakar m’enthousiasmait. Voyez-vous, pour nous, les Africains-Américains, voyager en Afrique revêt un sens quasiment spirituel. Nous sommes constamment taraudés par l’idée de retrouver notre identité perdue. Notre quête passe par le retour à ce continent d’origine que nous considérons comme notre patrie. »

L’auteur de Une colère noire aime aussi à rappeler que sa relation avec l’Afrique n’est pas seulement ancestrale, mais elle est également intellectuelle. Né à Baltimore en 1975, Coates a grandi dans une maison emplie de livres. Son père, ex-membre des Black Panthers, était bibliothécaire et, en ses temps libres, éditeur d’ouvrages de recherche confidentiels sur le monde noir. C’est à son père que le romancier doit son prénom, qui signifie « le grand peuple nubien du Sud » en égyptien ancien. Il lui doit aussi ses premières découvertes en littératures africaines. Ces découvertes, systématisées lors de son passage à l’université Howard, le célèbre « Black Harvard », ne sont pas, selon l’écrivain, étrangères à la place importante des mythes et de légendes dans son roman.

Une dette que Coates reconnaît volontiers. « Ma dette est immense. Mes racines intellectuelles se trouvent dans la littérature africaine-américaine, mais aussi dans l’ensemble de la littérature du monde noir. J’ai dû lire, comme tout le monde, "Le Monde s’effondre" (de Chinua Achebe NDLR) ainsi que la poésie de la négritudeCes lectures ont instillé en moi un sens d’appartenance à une communauté noire plus vaste que l’univers africain-américain au sein duquel j’ai grandi. Je me souviens d’avoir connu une des plus grandes émotions de ma vie en découvrant, dans mes classes de lettres classiques, "L’épopée de Soundiata". J’avais alors à peine 18 ans. C’était, je crois, le tout premier livre que je lisais dont le protagoniste central était un Africain. »

À la fois roman historique et conte fantastique, La Danse de l’eau raconte un récit d’apprentissage dans l’Amérique de l’avant-guerre de Sécession, esclavagiste et brutale. Quasi-tolstoïenne dans son ampleur, l’action du roman, déployée sur 500 pages, se déroule sur fond de splendeurs décadentes des plantations de la Virginie que bientôt la guerre civile viendra anéantir. C’est dans ce monde crépusculaire, entre chiens et loups, qu’évolue Hiram, le personnage central du roman. Né dans les fers, il s’est forgé dans les dures réalités de l’esclavage, tout en rêvant d’émancipation et d’amour.

L’imagination et l’art

Le thème de l’esclavage, au cœur de ce roman, Coates l’avait déjà abordé dans ses essais. Il y rappelle dans quelle mesure la mise en esclavage de millions d’Africains, avec l’appropriation des terres autochtones, fut le fondement de la prospérité des États-Unis. En revenant sur cette thématique sous une forme fictionnelle, l’écrivain espère voir ses lecteurs s’emparer du passé à travers l’imagination et l’art.

Sur les enjeux de l’écriture fictionnelle de l’esclavage, Ta-Nehisi Coates déclare : « Je crois que la fiction et l’essai sont des manières différentes de dire la même chose. J’ai été longtemps un auteur de non-fiction. Je m’attachais à rassembler des affirmations basées sur des faits concrets, mais je me suis progressivement rendu compte que les gens étaient mus autant par des faits que par des idéologies, des mythes et des croyances, véhiculées à travers des livres comme "Autant en emporte le ventou des films du type "Naissance d’une nation". Dans l’histoire américaine, la littérature a joué un rôle majeur dans l’affirmation de l’idéologie de la suprématie blanche. D’où ma quête d’une forme d’écriture adéquate pour rappeler que le vécu des Noirs fait, lui aussi, partie de l’expérience humaine ».

Dans le second volet de cette chronique, il sera question du périple riche en rebondissements du héros de Ta-Nehisi Coates et de l’art romanesque au souffle épique de cet intellectuel audacieux, qui propose de refonder l’imaginaire africain-américain en le reliant à sa source, c’est-à-dire l’Afrique.

 

► La Danse de l’eau, par Ta-Nehisi Coates. Traduit de l’anglais par Pierre Demarty. Fayard, 480 pages, 23 euros.

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