Chemins d'écriture

Entre terre ferme et fleuve dans la tourmente, avec la Nigérienne Antoinette Tidjani Alou

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Antoinette Tidjani Alou est née à la Jamaïque et vit au Niger depuis bientôt trois décennies. Spécialiste des littératures orales africaines, elle s'est fait connaître en publiant en 2016 un premier roman autofictionnel où elle a raconté avec gravité et dignité son combat contre la maladie qui a emporté sa fille. Roman d'apprentissage, Mano de l'autre bord, qu’elle vient de publier aux éditions Project’îles, est son troisième ouvrage.

Antoinette Tidjani Alou et Yvette Balana au Salon du livre africain de Genève
Antoinette Tidjani Alou et Yvette Balana au Salon du livre africain de Genève © Guillaume Ploquin / RFI
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« Tu n’as jamais cru aux sornettes des vieux. Très vite, tu savais que tu allais chercher et, surtout, trouver. Tu allais voir par toi-même au lieu de croire, simplement, aveuglément, conformément aux adages et usages inventés pour les esprits veules. Tu es venu au monde les pieds devant, les pieds dans l’eau, le visage voilé d’une membrane sanguinolente. La pirogue où ta mère était montée pour chercher la sage-femme, dans son hôpital blanc de l’autre rive, prenait l’eau. (…) Le fleuve, petit à petit, noyait bientôt ses sandales en caoutchouc bleu. »

C’est sur ce dialogue mère-fils que s’ouvre le nouveau roman de la Nigérienne Antoinette Tidjani Alou, déclamé par l’auteure en personne. On est ici à mi-chemin entre terre ferme et fleuve dans la tourmente, où la vie prend son essor. Cette ouverture est emblématique du récit subtil et sublime que racontent ces pages, mettant en scène le destin du personnage éponyme, ballotté par les courants de l’existence. Nous suivons Mano au fil des pages, voguant entre Niamey et Bordeaux, traversant les continents à la recherche des temps à venir, son identité tiraillée entre l’Afrique et l’Europe.

Né sur le fleuve, Mano est doué de qualités exceptionnelles. Il est surdoué, mais finira par s’égarer sur les chemins de la vie. Il y a du Samba Diallo dans ce personnage, menacé par la folie et la désintégration. Saura-t-il se ressaisir ? « Mano de l’autre bord, résume l'auteure, c’est un roman qui a en son centre un jeune homme, d’abord un jeune garçon qui est né au bord du fleuve Niger et qui va venir au monde pour répondre au désir de sa mère de faire un fils durable. Cette mère a eu auparavant quatre enfants et il lui faut avoir encore un fils pour se sentir valable en tant que femme. Ce fils durable est Mano, un enfant extraordinaire et qui est promis à un destin qui va lui faire quitter le Niger, traverser les mers, arriver à Bordeaux et ensuite revenir au Niger parce que ses aventures dans le monde l’ont traumatisé, tout cassé pour tout dire. Il doit revenir au pays pour ensuite retrouver le chemin. »

Mano de l’autre bord est un roman d’apprentissage par excellence. Moderniste par sa sensibilité, son auteure est proche de Toni Morrison par sa manière poétique et elliptique de raconter la maturation de ses personnages, évoluant dans un univers postcolonial et résolument multiculturel. Spécialiste de littérature orale africaine, son auteure est originaire de la Jamaïque. Après des études supérieures en France, notamment une thèse sur le théâtre de Claudel, elle s’est installée au Niger, où elle vit depuis bientôt 30 ans et où elle enseigne la littérature française et comparée à l’université Abdou-Moumouni de Niamey.

Le reggae et la Bible

Antoinette Tidjani-Alou aime raconter que son goût pour l’écriture, elle le doit à son enfance en Jamaïque, où influencée par le reggae et la Bible, elle a écrit des poèmes depuis sa plus petite enfance. « La poésie coule dans la veine de nos chanteurs de reggae, au même titre que le gandja », confie-t-elle. Pour sa part, lancée dans la carrière universitaire, la professeure Alou s’est longtemps contentée d’être chercheuse assidue et bonne épouse, avant de ressentir de nouveau le besoin de se tourner vers l’écriture lorsqu’elle a été frappée par une tragédie familiale : « L’écriture, c’était mon jardin secret, se souvient-elle. Le besoin d’exprimer l’émerveillement d’être vivante parce que je pense c’est une grâce d’être un être humain vivant dans le monde. L’écriture m’a toujours accompagné et, je crois aussi, dans les crises de la vie, par exemple, quand ma fille est morte en 2009… Je vivais dans une société où on ne doit pas exprimer la douleur, disons d’une manière ouverte. L’écriture est venue me donner un lieu pour explorer cette douleur-là et pour construire un tombeau littéraire à ma fille… »

Ce tombeau littéraire a pour titre On m’appelle Nina, roman paru en 2016, qui a fait connaître Antoinette Tidjani Alou. C’est un livre poignant où l’auteur raconte avec gravité et dignité le combat acharné qu’elle a mené contre la maladie, qui a finalement emporté sa fille. Émotion et deuil.

Le corpus littéraire de la romancière compte aussi un recueil de nouvelles en anglais Tina Shot Me Betwen the Eyes and Other Stories, paru en 2017. Ces nouvelles témoignent d’une narration originale, doublée d’une grande empathie de l’auteur pour ses personnages puisés dans les perdants et les exclus de la fête de la vie.

Lyrisme, imagination et une certaine acuité sentimentale sont les marques de fabrique de la fiction d’Antoinette Tidjani Alou. Son nouveau roman Mano de l’autre bord ne déroge pas à la règle. Dès les premières phrases, le lecteur est happé dans un vortex de questionnements sur l’identité et la fragilité qui caractérisent la quête inassouvie du personnage éponyme du roman. Le drame de Mano est sans doute d’être l’homme de tous les bords, tiraillé à tout jamais entre l’ici et l’ailleurs.


Mano de l’autre bord, par Antoinette Tidjani Alou. Editions Project’îles, 360 pages, 17 euros.

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